Le syndrome septique ("sepsis syndrome" des anglophones)
est caractérisé par une fièvre ou une hypothermie,
accompagnée par une tachycardie, une tachypnée, un
foyer infectieux le plus souvent, et des signes d'hypoperfusion
tissulaire affectant au moins un organe (il peut s'agir d'une hypoxémie,
d'une oligurie, de troubles de la conscience). Le choc septique
ajoute au tableau précédent une hypotension artérielle
(pression systolique inférieure à 90 mm de mercure
ou chute de plus de 40 mm par rapport à la pression habituelle).
En l'absence de traitement rapidement efficace, une évolution
d'un tel état septique sévère vers un syndrome
de défaillance multiviscérale est à craindre.
La mortalité touche entre environ 30 % et 50 % des malades.
Elle n'a pas diminué depuis 30 ans, malgré les progrès
de l'antibiothérapie et des techniques de soins intensifs
(1).
Divers axes de recherche
La gravité du problème a conduit diverses équipes
à mener des recherches sur la physiopathologie du syndrome
septique en vue d'aboutir à des traitements spécifiques
(2,3). Diverses voies ont ainsi été explorées :
traitements antiendotoxines, inhibition de médiateurs secondaires
(TNF alfa, interleukine-1, cytokines), inhibiteurs de la phosphodiestérase,
utilisation de facteurs anticoagulants, inhibition de l'activité
leucocytaire, antioxydants, etc. Les recherches dans ces multiples
voies ont jusqu'à présent été décevantes.
1991 : commercialisation française
de Centoxin°
Avant la commercialisation de la drotrécogine alfa (Xigris°),
un seul médicament avait reçu une autorisation de
mise sur le marché en France, en 1991, pour le traitement
des états septiques sévères : l'anticorps
monoclonal HA-1A (ex-Centoxin°) (1). Cet anticorps est dirigé
contre les endotoxines des bactéries à Gram négatif.
Son dossier d'évaluation initial comportait un seul essai
clinique, en double aveugle, chez 543 malades de plus de 18 ans,
en état septique sévère avec suspicion d'infection
par une bactérie à Gram négatif. Au terme de
cet essai (durée de suivi 28 jours), 43 % des malades étaient
morts dans le groupe placebo (soit 118 malades sur 276), versus
39 % dans le groupe traité par anticorps HA-1A (soit 100
malades sur 255) ; la différence n'était pas
statistiquement significative (1).
Dans un tel cas, d'un strict point de vue méthodologique,
une analyse en sous-groupes ne peut servir qu'à émettre
des hypothèses, car les risques sont élevés
que les malades soient différents sur des facteurs autres
que le traitement reçu. Les auteurs de l'essai ont cependant
procédé, rétrospectivement, à une telle
analyse sur les 200 malades qui avaient une infection par bactérie
à Gram négatif confirmée. Dans ce sous-groupe,
la mortalité est alors apparue statistiquement moins importante
chez les malades traités par anticorps HA-1A : 32 décès
sur 105 malades (30 %) versus 45 décès sur 92 malades
(49 %) sous placebo. La publication des résultats de cet
essai a fait l'objet d'une vive polémique internationale.
Les principales critiques ont porté sur la définition
ambiguë du critère principal d'évaluation de
l'essai, mais surtout sur l'analyse en sous-groupes. En particulier,
il existait des déséquilibres dans le recrutement,
en défaveur du placebo dans le sous-groupe "bactériémies
à Gram négatif" (a)(1).
Merci aux exigences américaines
Aux États-Unis d'Amérique, la Food and Drug Administration
n'a pas accordé d'autorisation de mise sur le marché,
et elle a demandé la réalisation d'un deuxième
essai en double aveugle piloté par un organisme indépendant
(essai CHESS) (4). En Europe, le Comité des spécialités
pharmaceutiques (CSP) de Bruxelles a recommandé quant à
lui, l'octroi d'une autorisation de mise sur le marché de
l'anticorps HA-1A, sur des arguments "d'éthique individuelle",
en demandant cependant une confirmation de l'efficacité dans
les deux ans. Cet avis favorable a été confirmé
par la Commission française d'autorisation de mise sur le
marché de l'époque, sous réserve d'un suivi
systématique des malades traités (b). Centoxin°
a donc été commercialisé en France.
L'analyse intermédiaire sur les 1 500 premiers malades inclus
dans l'essai CHESS a fait apparaître un taux de mortalité
plus élevé sous anticorps HA-1A que sous placebo,
dans le groupe des malades qui ne présentaient finalement
pas de bactériémie à Gram négatif. D'autre
part, les auteurs de cet essai CHESS ont constaté l'absence
d'effet sur les syndromes septiques avec bactériémies
à Gram négatif. Les résultats de la cohorte
française allaient dans le même sens, avec un niveau
de preuves moins élevé (5,6).
Les résultats de l'essai CHESS ont finalement abouti à
la suspension d'utilisation du Centoxin° en France et dans le
monde, suspension annoncée le 21 janvier 1993 par la firme
Lilly et la firme Centocor (6).
La gravité de la maladie exige une évaluation
rigoureuse
Ce n'est pas parce qu'un nouveau médicament est indiqué
pour une affection grave qu'il faut baisser la garde dans la rigueur
de l'évaluation. Un seul essai aux résultats séduisants
mais incertains ne suffit pas pour accorder l'AMM et exposer les
malades au nouveau médicament. Il faut alors exiger que tous
les malades soient inclus dans de nouveaux essais, et savoir attendre
les résultats d'au moins deux essais concordants avant d'accorder
une AMM.
Il arrive parfois qu'un nouveau médicament soit plus dangereux
qu'un placebo.
© La revue Prescrire 15 janvier 2003
Rev Prescr 2003 ; 23 (235) : 16.
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Notes
a- À l'époque, nous avions conclu notre analyse du
dossier d'évaluation par le jugement « La Rédaction
ne peut se prononcer" avec le commentaire suivant : "
il n'existe actuellement qu'un seul essai clinique évaluant
l'activité de l'anticorps monoclonal HA-1A chez des malades
atteints d'états septiques sévères. Les résultats
(favorables) sont discutés, et d'autres essais rigoureux
doivent être entrepris pour prouver cette activité
et définir de façon pertinente les malades susceptibles
d'être traités par Centoxin° (
) » (réf. 1).
b- À cette époque, chaque État européen
demeurait libre ou non de suivre les recommandations européennes.
En France, l'autorité administrative (il s'agissait encore
de la Direction de la pharmacie et du médicament du Ministère
de la santé) avait, préalablement à l'octroi
de l'AMM, consulté le Comité national d'éthique,
qui avait déconseillé la mise en place d'un deuxième
essai versus placebo (réf. 5,6).
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Références
1- Prescrire Rédaction "anticorps monoclonal HA-1A"
Rev Prescr 1992 ; 12 (117) 183-184.
2- Opal SM et Cross AS "Clinical trials for severe sepsis"
Infect Dis Clin North Am 1999 ; 13 (2) : 285-297.
3- Horn KD "Evolving strategies in the treatment of sepsis
and systemic inflammatory response syndrome (SIRS)" Q J Med
1998 ; 91 : 265-277.
4- Prescrire Rédaction "Il faut poursuivre l'évaluation
de Centoxin° !" Rev Prescr 1992 ; 12 (117) :
185.
5- Prescrire Rédaction "Centoxin° avec plus de recul"
Rev Prescr 1996 ; 16 (160) : 213-214.
6- Prescrire Rédaction "Suspension des essais et de
la distribution de Centoxin°" Rev Prescr 1993 ; 13
(127) : 134.
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