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États septiques sévères : L'histoire exemplaire de l'anticorps monoclonal HA-1A (ex-Centoxin°)
 
Ce n'est pas parce qu'un nouveau médicament (la drotrécogine alfa) est indiqué pour une affection grave (le sepsis sévère) qu'il faut baisser la garde dans la rigueur de l'évaluation.
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Une autorisation de mise sur le marché a été octroyée dans l'indication sepsis sévère en 2002 à la drotrécogine alfa, mais l'évaluation actuelle de ce médicament est en réalité préliminaire et à poursuivre rigoureusement.


Drotrécogine alfa (Xigris°) : peut-être pour certains cas de sepsis sévères ?
Revue Prescrire n°235, janvier 2003 : 15-18.

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Le syndrome septique ("sepsis syndrome" des anglophones) est caractérisé par une fièvre ou une hypothermie, accompagnée par une tachycardie, une tachypnée, un foyer infectieux le plus souvent, et des signes d'hypoperfusion tissulaire affectant au moins un organe (il peut s'agir d'une hypoxémie, d'une oligurie, de troubles de la conscience). Le choc septique ajoute au tableau précédent une hypotension artérielle (pression systolique inférieure à 90 mm de mercure ou chute de plus de 40 mm par rapport à la pression habituelle).

En l'absence de traitement rapidement efficace, une évolution d'un tel état septique sévère vers un syndrome de défaillance multiviscérale est à craindre. La mortalité touche entre environ 30 % et 50 % des malades. Elle n'a pas diminué depuis 30 ans, malgré les progrès de l'antibiothérapie et des techniques de soins intensifs (1).

Divers axes de recherche
La gravité du problème a conduit diverses équipes à mener des recherches sur la physiopathologie du syndrome septique en vue d'aboutir à des traitements spécifiques (2,3). Diverses voies ont ainsi été explorées : traitements antiendotoxines, inhibition de médiateurs secondaires (TNF alfa, interleukine-1, cytokines), inhibiteurs de la phosphodiestérase, utilisation de facteurs anticoagulants, inhibition de l'activité leucocytaire, antioxydants, etc. Les recherches dans ces multiples voies ont jusqu'à présent été décevantes.

1991 : commercialisation française de Centoxin°
Avant la commercialisation de la drotrécogine alfa (Xigris°), un seul médicament avait reçu une autorisation de mise sur le marché en France, en 1991, pour le traitement des états septiques sévères : l'anticorps monoclonal HA-1A (ex-Centoxin°) (1). Cet anticorps est dirigé contre les endotoxines des bactéries à Gram négatif.

Son dossier d'évaluation initial comportait un seul essai clinique, en double aveugle, chez 543 malades de plus de 18 ans, en état septique sévère avec suspicion d'infection par une bactérie à Gram négatif. Au terme de cet essai (durée de suivi 28 jours), 43 % des malades étaient morts dans le groupe placebo (soit 118 malades sur 276), versus 39 % dans le groupe traité par anticorps HA-1A (soit 100 malades sur 255) ; la différence n'était pas statistiquement significative (1).

Dans un tel cas, d'un strict point de vue méthodologique, une analyse en sous-groupes ne peut servir qu'à émettre des hypothèses, car les risques sont élevés que les malades soient différents sur des facteurs autres que le traitement reçu. Les auteurs de l'essai ont cependant procédé, rétrospectivement, à une telle analyse sur les 200 malades qui avaient une infection par bactérie à Gram négatif confirmée. Dans ce sous-groupe, la mortalité est alors apparue statistiquement moins importante chez les malades traités par anticorps HA-1A : 32 décès sur 105 malades (30 %) versus 45 décès sur 92 malades (49 %) sous placebo. La publication des résultats de cet essai a fait l'objet d'une vive polémique internationale. Les principales critiques ont porté sur la définition ambiguë du critère principal d'évaluation de l'essai, mais surtout sur l'analyse en sous-groupes. En particulier, il existait des déséquilibres dans le recrutement, en défaveur du placebo dans le sous-groupe "bactériémies à Gram négatif" (a)(1).

Merci aux exigences américaines
Aux États-Unis d'Amérique, la Food and Drug Administration n'a pas accordé d'autorisation de mise sur le marché, et elle a demandé la réalisation d'un deuxième essai en double aveugle piloté par un organisme indépendant (essai CHESS) (4). En Europe, le Comité des spécialités pharmaceutiques (CSP) de Bruxelles a recommandé quant à lui, l'octroi d'une autorisation de mise sur le marché de l'anticorps HA-1A, sur des arguments "d'éthique individuelle", en demandant cependant une confirmation de l'efficacité dans les deux ans. Cet avis favorable a été confirmé par la Commission française d'autorisation de mise sur le marché de l'époque, sous réserve d'un suivi systématique des malades traités (b). Centoxin° a donc été commercialisé en France.

L'analyse intermédiaire sur les 1 500 premiers malades inclus dans l'essai CHESS a fait apparaître un taux de mortalité plus élevé sous anticorps HA-1A que sous placebo, dans le groupe des malades qui ne présentaient finalement pas de bactériémie à Gram négatif. D'autre part, les auteurs de cet essai CHESS ont constaté l'absence d'effet sur les syndromes septiques avec bactériémies à Gram négatif. Les résultats de la cohorte française allaient dans le même sens, avec un niveau de preuves moins élevé (5,6).

Les résultats de l'essai CHESS ont finalement abouti à la suspension d'utilisation du Centoxin° en France et dans le monde, suspension annoncée le 21 janvier 1993 par la firme Lilly et la firme Centocor (6).

La gravité de la maladie exige une évaluation rigoureuse
Ce n'est pas parce qu'un nouveau médicament est indiqué pour une affection grave qu'il faut baisser la garde dans la rigueur de l'évaluation. Un seul essai aux résultats séduisants mais incertains ne suffit pas pour accorder l'AMM et exposer les malades au nouveau médicament. Il faut alors exiger que tous les malades soient inclus dans de nouveaux essais, et savoir attendre les résultats d'au moins deux essais concordants avant d'accorder une AMM.

Il arrive parfois qu'un nouveau médicament soit plus dangereux qu'un placebo.

© La revue Prescrire 15 janvier 2003
Rev Prescr 2003 ; 23 (235) : 16.

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Notes
a- À l'époque, nous avions conclu notre analyse du dossier d'évaluation par le jugement « La Rédaction ne peut se prononcer" avec le commentaire suivant : " il n'existe actuellement qu'un seul essai clinique évaluant l'activité de l'anticorps monoclonal HA-1A chez des malades atteints d'états septiques sévères. Les résultats (favorables) sont discutés, et d'autres essais rigoureux doivent être entrepris pour prouver cette activité et définir de façon pertinente les malades susceptibles d'être traités par Centoxin° (…) » (réf. 1).
b- À cette époque, chaque État européen demeurait libre ou non de suivre les recommandations européennes. En France, l'autorité administrative (il s'agissait encore de la Direction de la pharmacie et du médicament du Ministère de la santé) avait, préalablement à l'octroi de l'AMM, consulté le Comité national d'éthique, qui avait déconseillé la mise en place d'un deuxième essai versus placebo (réf. 5,6).
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Références
1- Prescrire Rédaction "anticorps monoclonal HA-1A" Rev Prescr 1992 ; 12 (117) 183-184.
2- Opal SM et Cross AS "Clinical trials for severe sepsis" Infect Dis Clin North Am 1999 ; 13 (2) : 285-297.
3- Horn KD "Evolving strategies in the treatment of sepsis and systemic inflammatory response syndrome (SIRS)" Q J Med 1998 ; 91 : 265-277.
4- Prescrire Rédaction "Il faut poursuivre l'évaluation de Centoxin° !" Rev Prescr 1992 ; 12 (117) : 185.
5- Prescrire Rédaction "Centoxin° avec plus de recul" Rev Prescr 1996 ; 16 (160) : 213-214.
6- Prescrire Rédaction "Suspension des essais et de la distribution de Centoxin°" Rev Prescr 1993 ; 13 (127) : 134.