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La publicité directe au public pour les médicaments :
une pilule pour chaque maladie ou une maladie pour chaque pilule ?
 
Le public a besoin d'une information fiable, comparative et indépendante concernant les problèmes de santé et tous les traitements disponibles, y compris le choix de ne pas traiter. Ceci ne peut pas venir de la publicité, qui vise à stimuler la vente d'un produit.
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La publicité directe au public pour les médicaments :
une pilule pour chaque maladie ou une maladie pour chaque pilule ?

Publié dans
Rev Prescrire 2006 ; 26 (272) : 391-393.
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La publicité directe au public pour les médicaments sur prescription est légale seulement aux États-Unis d'Amérique et en Nouvelle-Zélande.

Depuis 1990, on note une croissance rapide de ces dépenses publicitaires. L'Agence étatsunienne du médicament (Food and Drug Administration (FDA)) a assoupli les règles en 1997 pour les publicités à la radio et à la télévision. En octobre 2001, un mois après l'attaque des tours jumelles à New York, on a pu voir par exemple dans une publicité : « Des millions de personnes souffrent d'inquiétude chronique », avec "la solution" : Paxil° (paroxétine ; Deroxat° ou autre, en France), un antidépresseur. Dans cette publicité, étaient mis en avant comme symptômes de cette « inquiétude chronique » : la fatigue, la tension musculaire, les soucis, les problèmes personnels, etc. Une autre publicité concernant Aricept° (donépézil), préconisé dans la maladie d'Alzheimer, suggère une efficacité plus importante que l'efficacité démontrée par les études cliniques, en ces termes : « Les troubles de la mémoire de maman étaient causés par la maladie d'Alzheimer. Nous ne sommes pas restés passifs. Elle a vu un médecin très rapidement et il lui a prescrit de l'Aricept°. Maintenant elle va mieux ». La firme pharmaceutique affirme ainsi avoir la solution face à ce diagnostic terrible (a).

En Europe, une légalisation de la publicité de médicaments pour le grand public a été proposée par la Commission européenne dans un projet pilote concernant les médicaments pour l'asthme, le diabète et l'infection par le HIV. Ce projet a été refusé par un vote du Parlement européen en octobre 2002, par 494 voix contre et 42 pour.

Pourquoi faut-il interdire la publicité directe au grand public ?
Pour les médicaments prescrits sur ordonnance, la firme n'a le droit ni de vendre ni de faire de la publicité directement au public. Par rapport aux médicaments en vente libre, il s'agit en effet de médicaments comportant plus de risques ou des risques moins bien cernés. Ces médicaments concernent les traitements de problèmes sérieux nécessitant un suivi médical. Et il y a un risque de prescriptions inadéquates.

L'interdiction de la publicité directe en Europe a entraîné une réaction d'un dirigeant de la firme Merck, en ces termes : « L'interdiction de la publicité directe en Europe a amené une nouvelle pathologie : le syndrome de manque d'information. Ce syndrome a une ampleur "épidémique" causant beaucoup de souffrances et de morts…  » (Per Wold-Olsen, cité dans Scrip du 31 août 2004).

Un mois plus tard, en septembre 2004, éclatait l'affaire du Vioxx° (rofécoxib) vendu dans le monde entier de 1999 à 2004. En fait, les premières données publiées sur les risques cardiaques sont apparues en 2000 (étude Vigor), soit un an après la mise sur le marché. Vioxx° n'est pas plus efficace que les médicaments comparables : il est plus cher, mais il a fait l'objet d'une publicité directe extraordinaire, représentant cinq cents millions de dollars en cinq ans, soit plus que Pepsi-Cola ! En 2005, David Graham, de la FDA, a estimé que ce produit avait provoqué entre 88 000 et 139 000 crises cardiaques supplémentaires.

Cette affaire a-t-elle marqué la fin de la discussion sur la légalisation de la publicité directe en Europe ?

Oui et non. Oui, car il y a peu de possibilité de voir bientôt être ratifiée une nouvelle loi européenne légalisant cette publicité. Non, car la publicité directe est en fait implantée, et particulièrement rentable.

Pour la publicité, des dépenses considérables
Ces dépenses publicitaires, un peu plus de 1 milliard de dollars en 1997 et plus de 4 milliards en 2004, ont évidemment un effet sur les ventes des médicaments aux États-Unis d'Amérique. L'augmentation de ces ventes représente 20,8 milliards de dollars en un an, de 1999 à 2000. En effet 48 % de l'augmentation sont liés à la vente de cinquante médicaments promus par cette publicité, et 52 % à la vente des 10 000 autres médicaments.

D'après la réglementation en vigueur aux États-Unis d'Amérique, il existe trois types de publicités pour les médicaments :
- la publicité "complète", avec le nom commercial et les indications (problèmes de santé pour lesquels le médicament est prescrit) ;
- la publicité dite "de rappel", avec le nom commercial seulement. Les indications ou problèmes de santé ne sont pas mentionnés ;
- la publicité dite "de demande d'aide", qui mentionne le problème de santé mais pas le nom commercial, et suggère de consulter un médecin.

Un exemple de publicité complète est celle de Zoloft° (sertraline), qui préconise le traitement du syndrome prémenstruel par cet antidépresseur en ces termes : « Are you giving up days to what you think is P.M.S. ? ». L'indication promue, le syndrome dysphorique prémenstruel, a été refusée par l'Agence européenne.

Un exemple de publicité "de rappel" est celle de Vioxx° (rofécoxib) où l'on voit, image axée sur l'efficacité, une patineuse célèbre.

Un exemple de publicité de "demande d'aide" est celle de la firme Merck, productrice de Fosamax° (acide alendronique) pour le traitement de l'ostéoporose, et qui conseille vivement aux femmes, après la soixantaine, de pratiquer une ostéodensitométrie.

Ces trois types de publicités sont autorisés aux États-Unis d'Amérique. La publicité dite "de rappel" commence à apparaître au Canada par le biais d'une nouvelle interprétation de la loi, et la publicité dite de "demande d'aide" se développe au Canada, en Australie, en Europe et ailleurs. Elle est mal contrôlée et difficile à réglementer. Elle existe aussi en France, notamment à la télévision.

De nombreux exemples peuvent être donnés
Ainsi celui d'une publicité "de rappel" concernant Levitra° (vardénafil), médicament des troubles de l'érection, vue à Toronto en 2005 : « Parce que la vie doit être spontanée, voyez votre médecin (Because life should be impulsive… ask your doctor !) ». Au Canada, les publicités "de rappel" sont en évidence depuis 2000, à la suite d'une nouvelle interprétation élargie d'un règlement concernant les publicités pour les prix des médicaments.

Ou encore la publicité préconisant la prise d'Accutane° (isotrétinoïne orale ; Roaccutane° ou autre, en France) pour traiter l'acné avec ces mots : « Stop hiding ! » et conseillant de s'informer auprès de son médecin. Alors que ce médicament est contre-indiqué pendant la grossesse en raison de risques sérieux de malformations.

Une publicité grand public, du type "demande d'aide", concerne Xenical° (orlistat) indiqué, au Canada, dans l'obésité (indice de masse corporelle (IMC) = 30 kg/m2 ou > 28 kg/m2 + facteurs de risque cardiovasculaire), avec cette phrase : « Demandez à votre médecin l'histoire de Julie », accompagnée de quatre images d'une femme non obèse qui voudrait simplement perdre quelques kilos, sans mentionner le nom du produit. Le médecin est sensibilisé lui aussi par une lettre intitulée « Je suis Julie ».

En réalité, ce médicament est autorisé pour les obésités (avec indice de masse corporelle = trente kilos par mètre carré) avec risque cardiovasculaire. De plus, il est cher et pas très efficace, et n'a pas été testé chez les non obèses. Il a aussi des effets indésirables, de nature gastro-intestinale : selles graisseuses, flatulence, écoulement graisseux, etc.
Dans un autre domaine, une publicité canadienne de type "demande d'aide" incite à faire un dosage du cholestérol : l'image représente les pieds d'un homme décédé, allongé dans une morgue, portant une étiquette accrochée au gros orteil gauche, sur laquelle on peut lire : « crise cardiaque, 52 ans ». À côté, on peut lire : « Dire qu'un simple test de cholestérol aurait pu lui éviter ça ». À propos de cette publicité, J. Quick et ses collègues de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), écrivent dans le Lancet le 30 août 2003 : « L'information présentée comportait des propositions fallacieuses et a omis des faits importants. Cela pourrait mener à une utilisation médicamenteuse sans justification médicale ou à des risques qui auraient pu être évités ». Suite à une plainte canadienne contre cette publicité, le ministre de la Santé a répondu le 16 juin 2004 : « Ce message ne suggère ni l'utilisation d'un médicament anticholestérol spécifique, ni l'utilisation d'un médicament quelconque. Donc, on ne peut dire que ce message soit une publicité. Ce message devrait mener à une consultation médicale où un traitement approprié sera recommandé au patient » (b). Enfin une publicité étatsunienne pour Lipitor° (atorvastatine ; Tahor°), le médicament le plus vendu dans le monde, dit que « High cholesterol comes in all shapes and sizes ». Mais le taux élevé de cholestérol est-il une maladie ou un facteur de risque ? Parfois le risque du médicament est plus élevé que le risque cardiaque que l'on veut éviter.

Le champ de la santé mentale n'est pas épargné

La santé mentale est-elle une question de chimie, avec une solution chimique ? Une publicité pour Zoloft° (sertraline) indique que la dépression pourrait être le produit d'un déséquilibre chimique et que ce produit « corrige ce déséquilibre (works to correct the imbalance ?) » au niveau des neurones (effet inhibiteur de la recapture de la sérotonine). Mais d'après J. Lacasse et J. Leo, après une recherche systématique de la littérature scientifique concernant le lien entre la dépression et la sérotonine « il n'existe pas d'évidence scientifique de la théorie du rôle de la sérotonine. On trouve toutefois une base de données considérables mais contradictoires… Il n'y a pas une seule étude scientifique qui pourrait soutenir directement l'idée que n'importe quel désordre psychiatrique vient d'un déficit de sérotonine…».

Un test effectué aux États-Unis d'Amérique au sujet de l'influence des patients sur la prescription d'antidépresseurs est très significatif. Des "patients standardisés", des actrices, ont joué le rôle de patients déprimés, demandant un traitement pour dépression ou pour trouble de l'adaptation, en effectuant trois cents visites non annoncées auprès de cent cinquante médecins. Plusieurs scénarios ont été utilisés : symptômes de la dépression majeure ; troubles de l'adaptation ; demande ou non ; nom commercial ou non. Les médecins sollicités ont-ils prescrit des antidépresseurs ? Pour les patients avec symptômes de dépression sans demande précise, trois médecins sur dix ont prescrit ; en cas de demande de Deroxat° (paroxétine), plus de la moitié l'ont prescrit ; pour les patients se plaignant d'un "trouble de l'adaptation" sans demande particulière, un médecin sur dix a prescrit, et un peu plus de la moitié en cas de demande de Deroxat° (paroxétine).

Quelle est la valeur éducative des publicités ?
Une enquête en médecine générale a été effectuée comparativement à Sacramento et à Vancouver, incluant 1 431 patients de 78 médecins, utilisant un questionnaire avant et après la consultation : 7 % des patients étatsuniens ont demandé un médicament promu par la publicité directe au public, contre 3 % des patients canadiens. Si un patient demandait un tel médicament, il le recevait : les médecins ont prescrit trois fois sur quatre les médicaments demandés, sans différence entre les médecins étatsuniens et canadiens.

Une étude sur 320 publicités dans 18 grandes revues américaines entre 1989 et 1998 a montré que l'information (ou les données les plus importantes pour une décision éclairée et partagée (« shared informed treatment choices »)) était absente dans la majorité des cas. Neuf fois sur dix la publicité ne mentionnait pas la probabilité de réussite du traitement, ni sa durée ; huit fois sur dix, elle ne mentionnait pas d'autres possibilités d'aide à la guérison ; sept fois sur dix, elle ne mentionnait pas les autres traitements possibles, et six fois sur dix, elle ne précisait pas le mode d'action.

Beaucoup de publicités incluent des offres gratuites ou des baisses de prix, ce qui pourrait inciter un patient à utiliser un médicament spécifique. Une publicité aux États-Unis d'Amérique offre un essai gratuit de sept jours pour Ambien CR° (zolpidem ; Stilnox° ou autre), alors que ce médicament est susceptible de créer une dépendance ! Une pétition effectuée en octobre 2005, demandant l'interdiction de la publicité directe a été signée par plus de deux cents professeurs de médecine étatsuniens, affirmant que la publicité directe « n'aide pas la santé publique. Elle ajoute aux coûts des médicaments et au nombre d'ordonnances qui ne sont pas nécessaires, ce qui est cher pour l'État et peut être dangereux pour les patients ».

Quel est l'avenir de la publicité directe auprès du public en Europe ? En réalité, le public a besoin d'une information fiable, comparative et indépendante concernant les problèmes de santé et tous les traitements disponibles, y compris le choix de ne pas traiter. Ceci ne peut pas venir de la publicité, qui vise à stimuler la vente d'un produit.

Barbara Mintzes
Centre de recherche en Politique et Services de santé - Vancouver (Canada) (c)
Rev Prescrire 2006 ; 26 (272) : 391-393.

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Notes
a- Deux exemples étatsuniens de publicité directe au public sont présentés en page III de couverture du n° 232 de la revue Prescrire.
b- Cette campagne a aussi eu lieu en France : voir les pages III de couvertures des n° 238 et 250 de la revue Prescrire.
c- Résumé réalisé par G. Lafue et J.-C. Bourdier d'une conférence tenue aux Septièmes rencontres de pharmacologie sociale le 23 novembre 2005, organisées par le Collectif de pharmacologie sociale de Toulouse et le Service de pharmacologie clinique de la Faculté de médecine et du Centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse ; avec le soutien de l'Union régionale des caisses d'assurance maladie (URCAM), de la revue Prescrire et de l'Institut de recherche fédératif (IFR) 126 "Santé, Société".