Revue Prescrire, article en une, phobie mars 2003
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Gare à la médicalisation pharmacologique
de l'existence
 
Personne ne songerait raisonnablement à contester l'intérêt de traitements médicamenteux dans certaines pathologies psychiatriques. Mais étendre l'utilisation de ces médicaments au-delà des indications pathologiques constitue un dérapage auquel il faut absolument résister, dans l'intérêt même des patients.
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La phobie sociale : ne pas confondre avec la timidité
La phobie sociale est une peur persistante et intense d'une ou plusieurs situations sociales. Rev Prescr 2003 ; 23 (237) : 214-216.
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Paroxétine (Deroxat°)
Nouvelle indication dans la phobie sociale : une évaluation a minima. Rev Prescr 2003 ; 23 (237) : 167-170. Résumé
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La médicalisation de la vie ordinaire, et plus précisément la médicalisation pharmacologique, continue à se développer. Phénomène ancien comme le rappellent deux éditoriaux du British Medical Journal, il n'en est pas moins d'actualité (1,2).

Les frontières entre la particularité individuelle et la "pathologie" deviennent de plus en plus floues. Les symptômes sont de plus en plus souvent considérés comme des "maladies" à part entière.

Les firmes pharmaceutiques sont activement impliquées dans l'élaboration des définitions des pathologies. Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux américain, alias DSM, est le fruit des travaux de l'Association américaine de psychiatrie, qui est très largement financée par l'industrie pharmaceutique. Le DSM était au départ un outil de recherche. C'est un répertoire de symptômes, qui ne prend en compte ni le patient en tant que personne et ses objectifs, ni le contexte de survenue de ses troubles (2,3). Il est pourtant devenu un outil de base pour l'approche thérapeutique psychiatrique individuelle (3).

On fabrique aujourd'hui de la "pathologie" à partir de tout ce qui ressort du domaine psychologique (3). Le déplacement de la limite du "pathologique" vers le "normal" ouvre de nouveaux marchés à la prescription (3à6). On peut en rapprocher la manœuvre qui consiste à abaisser les valeurs normales des chiffres de paramètres biologiques, conduisant à un traitement médicamenteux de plus en plus de valeurs "excessives" (3,7).

Les firmes exercent une promotion active de ces définitions auprès des soignants et du grand public (1). Elles "alertent" le public sur l'existence de prétendus problèmes sous-diagnostiqués et sous-traités. En parallèle, elles culpabilisent les prescripteurs de ne pas faire plus souvent des diagnostics de troubles mentaux et de ne pas prescrire plus souvent les médicaments psychotropes "qui s'imposent" (3).

Des approches qui mettent en avant le caractère relativement bénin ou non évolutif de l'histoire naturelle du problème, et l'importance de développer des stratégies de prise en charge personnelle, sont minimisées ou ignorées, donnant l'impression d'aboutir à une "perte de chance" pour le patient (1).

Les solutions médicamenteuses qui risquent fort d'être à l'origine d'une consommation prolongée voire chronique, sont mises en avant plutôt qu'une approche active psychologique et sociale (2).

Cette médicalisation pharmacologique systématique expose à plusieurs dangers : un étiquetage diagnostique inutile voire nuisible pour le patient, une démarche de piètre qualité pour aboutir à la décision de traitement, un risque de iatrogénèse, une dépense inutile, une distraction de l'attention préjudiciable à la prise en charge de maladies sérieuses que l'on peut traiter plus efficacement.

© La revue Prescrire 15 mars 2003
Rev Prescr 2003 ; 23 (237) ; 169.

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Références
1- Moynihan R et coll. "Selling sickness : the pharmacological industry and disease mongering" BMJ 2002 ; 324 : 886-891.
2- Double D "The limits of psychiatry" BMJ 2002 ; 324 : 900-904.
3- Zarifian E "Mission générale concernant la prescription et l'utilisation des médicaments psychotropes en France" mars 1996, 274 pages. Résumé dans Rev Prescr 1996 ; 16 (168) : 895-897.
4- Healy D "Le temps des antidépresseurs" (traduit de l'anglais par F Bouillot) Les Empêcheurs de penser en rond - Le Seuil, Paris 2002 : 430 pages.
5- Lenglet R et Topuz B "Des lobbies contre la santé" Syros, Paris 1998 : 288 pages. Présenté dans Rev Prescr 1999 ; 19 (194) : 309.
6- Pignarre P "Comment la dépression est devenue une épidémie" La découverte et Syros, Paris 2001 : 155 pages.
7- Prescrire Rédaction "Les recommandations contestables et contestées de l'OMS dans l'HTA" Rev Prescr 1999 ; 19 (195) : 378-381