Revue Prescrire, article en une, Palmarès 2002 des médicaments (4)
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L'année 2002 des médicaments : agences et firmes tardent à prendre en compte les effets indésirables
 
Faute d'information sur les risques, les patients sont en pratique exposés à des risques que ni eux ni les soignants n'auraient accepté de prendre s'ils avaient pu agir en connaissance de cause.
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Enrichir sa panoplie thérapeutique
Revue Prescrire n°235, janvier 2003 : 34-64.
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L'année 2002 des médicaments - Spéculations boursières ou soins des malades : il faut choisir
646 dossiers étudiés, 233 nouveaux médicaments ou nouvelles indications, 4 "intéressant", 9 "apporte quelque chose", etc.
Revue Prescrire n°236, février 2003 : 136-143.
(pdf, 195 Ko)
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Cisapride : un retrait qui se fait attendre
Ce médicament, à l'origine d'effets indésirables cardiaques sévères, a été retiré du marché dans plusieurs pays. Les autorités françaises du médicament en sont restées jusqu'ici à des demi-mesures.
Itinéraire mis à jour le 1er novembre 2002 (12 articles)

Sibutramine : nouveaux effets indésirables
Le plus raisonnable est de ne pas prescrire ni utiliser ce médicament dont la balance bénéfices-risques est défavorable
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Conference2002.zip

Qu'ils apportent ou non des bénéfices, tous les médicaments exposent à des risques d'effets indésirables.

Au moment de la commercialisation d'un nouveau médicament, la connaissance de ses effets indésirables est toujours incomplète.
L'évaluation préliminaire n'est pas toujours bien faite. Les firmes cherchent surtout à documenter l'efficacité de leur médicament, et peu leurs effets indésirables.

Mais de toutes façons, des effets indésirables rares, même les plus graves, échappent forcément à l'évaluation initiale. Les essais cliniques n'ont inclus qu'un nombre relativement faible de patients, insuffisant pour qu'apparaissent un ou plusieurs cas de tous les effets indésirables rares. D'autre part, au cours des essais cliniques les risques d'effets indésirables sont réduits le plus possible : les patients étudiés sont particulièrement sélectionnés et encadrés, les coprescriptions qui exposent à des interactions médicamenteuses sont évitées au maximum, les patients ayant des maladies concomitantes importantes sont exclus, etc. Ces conditions expérimentales ne sont pas celles de la vie de tous les jours.

Une pharmacovigilance active est indispensable après commercialisation
Pour tous les médicaments, après commercialisation, il faut donc une pharmacovigilance active pour étudier ces effets indésirables encore méconnus. Il faut ensuite qu'une information complète soit largement diffusée et que les précautions d'utilisation des médicaments soient clairement définies pour que les patients soient le moins possible en danger.

Dans nombre de cas, les firmes et les agences du médicament sont très lentes à réagir. Les moyens mis en œuvre sont insuffisants. Et finalement, par manque d'information, certains médicaments sont prescrits par les médecins, dispensés par les pharmaciens, pris par les patients sans que les risques soient correctement appréciés et pris en compte. Les patients sont alors exposés à des risques qu'ils n'auraient pas pris si les informations disponibles avaient été complètes et correctement diffusées.

Au cours de l'année 2002, la revue Prescrire a étudié divers dossiers de médicaments où les insuffisances de moyens et la lenteur à réagir des agences du médicament et des firmes ont été particulièrement flagrantes. Parmi ceux-ci, voici 3 exemples.

Premier exemple de moyens insuffisants et de lenteur des agences et des firmes : le cisapride (Prepulsid°)
C'est un médicament prescrit pour le traitement des symptômes du reflux gastro-œsophagien. Il a été mis sur le marché en France en 1990 puis a été largement utilisé, chez les nourrissons notamment.

Des troubles du rythme cardiaque graves ont été observés dès les premières années qui ont suivi sa commercialisation. On pouvait d'ailleurs se méfier de ce risque car le cisapride est étroitement apparenté aux neuroleptiques. Les médicaments de cette classe perturbent le rythme cardiaque et sont causes de malaises, de syncopes voire de morts subites.

Diverses mesures ont été prises au cours des années pour essayer de diminuer le nombre des effets indésirables liés au cisapride, mais toujours des demi-mesures insuffisantes et des observations de troubles du rythme cardiaque graves se sont multipliées, des décès sont survenus. Certains pays ont finalement retiré le cisapride de leur marché.

En France, en août 2002, le cisapride est devenu un médicament dont la prescription est restreinte à certains spécialistes hospitaliers. Il a fallu plus de 10 ans de commercialisation du cisapride avant cette mesure de restriction. Il existe d'autres moyens moins dangereux pour traiter les symptômes du reflux gastro-œsophagien.

Le cisapride devrait tout simplement être retiré du marché.

Deuxième exemple : les risques cardiaques des neuroleptiques
Nous venons d'évoquer la parenté du cisapride avec les neuroleptiques. La revue Prescrire a consacré aux neuroleptiques un dossier en 2002, car un aspect de leur histoire est exemplaire.

Dans les années 1960, les neuroleptiques ont d'abord été utilisés comme antipsychotiques, c'est à dire des traitements des psychoses. Petit à petit, leur utilisation a été élargie, en pratique, comme sédatifs. Parallèlement, des observations de troubles du rythme cardiaques et des morts subites ont été rapportées chez des patients traités en psychiatrie. Bien sûr, les causes de mort subite sont multiples.

Dès la fin des années 1960 pourtant, des controverses sur le rôle des neuroleptiques dans les morts subites en psychiatrie étaient publiées, en particulier pour la thioridazine, vendue sous le nom de Melleril°, avec une AMM française datant de 1959. Des observations de modifications de l'électrocardiogramme induites par des neuroleptiques étaient déjà rapportées.

Mais la prise de conscience collective a été très lente. Le résumé des caractéristiques de la thioridazine (c'est-à-dire le document officiel détaillant les conditions d'utilisation du médicament) indiquait encore en France en 1999, dans la rubrique des effets indésirables cardiaques, uniquement des troubles bénins et réversibles. Pas un mot des troubles du rythme graves et des décès. Le médicament était encore autorisé pour traiter certaines formes d'anxiété, loin des troubles psychotiques.

C'est seulement en 2001 qu'ont été mentionné les risques de troubles du rythme cardiaque graves de la thioridazine et que les indications comme sédatif ont été restreintes. Que de temps perdu ! Plus de 30 ans d'aveuglement avant d'accepter l'existence d'effets indésirables cardiaques graves et d'accepter de ne plus utiliser largement ce médicament comme sédatif.

Troisième exemple : la sibutramine (Sibutral°)
La sibutramine est un anorexigène, un "coupe-faim", un médicament employé dans l'obésité. La sibutramine a été commercialisée en France en 2001. Selon les essais cliniques, le bénéfice est une perte de quelques kilos, perte qui s'estompe après l'arrêt du traitement.

De nombreux effets indésirables étaient déjà connus au moment de sa commercialisation. Les effets indésirables de type amphétaminiques sont fréquents. On savait de par la parenté de ce médicament avec les amphétamines qu'il fallait être particulièrement vigilant pour ce qui concerne les risques cardiovasculaires. Et d'ailleurs, il y avait déjà des effets indésirables de cet ordre signalés, notamment des augmentations de la pression artérielle. Les mentions officielles en faisaient état.

Depuis la commercialisation, des notifications d'effets indésirables notamment cardiovasculaires se sont multipliées. En mars 2002, l'Italie a décidé officiellement une suspension de l'autorisation de mise sur le marché. L'Agence européenne a mené une réévaluation des bénéfices et des risques de la sibutramine. La décision officielle, en novembre 2002, a été le maintien sur le marché, la prescription étant restreinte à certains spécialistes.

L'opacité qui entoure ce dossier est majeure. L'information précise n'est toujours pas fournie : dans son compte rendu, l'Agence européenne n'a pas rendu publiques les données de pharmacovigilance de la sibutramine ; l'Agence française n'a publié qu'un bref résumé de ses données de pharmacovigilance, et tardivement, en réaction à la décision italienne.

L'Agence européenne ne se donne pas les moyens de mettre en évidence au plus tôt les risques réels. Elle a demandé au moment de la commercialisation de la sibutramine une étude sur les risques cardiovasculaires de la sibutramine (SCOUT). En 2002, cette étude n'était toujours pas commencée mais la sibutramine reste autorisée. On se demande quel sera le prochain épisode du feuilleton, et combien de temps le feuilleton va durer. Le plus sage, à notre point de vue, est pourtant le retrait du marché.

Ces trois exemples extraits de la revue Prescrire en 2002 illustrent la lenteur des firmes et des agences à réagir pour la prise en compte des effets indésirables, et tout autant leur manque de transparence pour ce qui concerne l'information des professionnels de santé et des patients. Il faut qu'elles se donnent les moyens de mettre en évidence les effets indésirables et de les quantifier. Une prévention des risques serait bien préférable à l'attitude actuelle de réaction de crise lorsqu'un problème devient aigu et médiatisé.

Le but est finalement de prendre les mesures nécessaires pour informer les patients et les soignants des risques, et se mettre dans les meilleures conditions pour les éviter. Sinon les médicaments sont largement prescrits et dispensés, de sorte que les patients sont en pratique exposés à des risques que ni eux ni les soignants n'auraient accepté de prendre s'ils avaient pu agir en connaissance de cause.

© La revue Prescrire 23 janvier 2003