Revue Prescrire, article en une, Palmarès 2002 des médicaments (3)
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L'année 2002 des médicaments : les progrès ne sont pas ceux annoncés
 
Il existe chaque année de véritables progrès thérapeutiques, qui changent la vie des patients. Mais il faut savoir les repérer, car ils n'ont pas forcément fait l'objet des plus grands tapages, ni en termes de recherche, ni en termes de promotion.
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Enrichir sa panoplie thérapeutique
Revue Prescrire n°235, janvier 2003 : 34-64.
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L'année 2002 des médicaments - Spéculations boursières ou soins des malades : il faut choisir
646 dossiers étudiés, 233 nouveaux médicaments ou nouvelles indications, 4 "intéressant", 9 "apporte quelque chose", etc.
Revue Prescrire n°236, février 2003 : 136-143.
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Dans son bilan de l'année 2002 et dans son palmarès, la Rédaction de la revue Prescrire a retenu plusieurs dizaines de médicaments qui méritent d'être ajoutés à la liste de médicaments des professionnels de santé, pour des situations cliniques précises. En voici trois exemples.

Les maladies infectieuses
Les maladies infectieuses ne sont pas seulement des maladies bactériennes ou virales. Dans ce domaine, les progrès ne viennent pas toujours des antibiotiques et des antiviraux.

La gale est une parasitose cutanée, provoquée par un acarien qui parasite des millions d'individus sur tous les continents, de tous les niveaux sociaux et à tout âge. Elle touche notamment les sujets âgés et les enfants. La gale entraîne surtout un prurit intense (c'est-à-dire des démangeaisons). Mais, il existe des formes de gale sévères, qui peuvent toucher les patients immunodéprimés, mais aussi les sujets âgés et les nourrissons, s'ils sont traités à tort par des topiques corticoïdes pour le prurit.

L'incidence de la gale en France n'est pas bien connue, mais la gale est commune, comme en témoigne l'attribution du statut de maladie professionnelle pour les soignants en milieu hospitalier. Des recrudescences de la gale dans des institutions pour personnes âgées sont régulièrement signalées. Le traitement par application sur la peau de divers pesticides antiparasitaires est efficace, mais il est malcommode.

L'ivermectine est un antiparasitaire utilisé d'abord en médecine vétérinaire, et depuis plusieurs années, pour traiter, avec succès, l'onchocercose en Afrique et en Amérique Latine. Actif contre de nombreux parasites, ce médicament, utilisé par voie orale, a été essayé pour traiter la gale.

Son efficacité, en une seule prise, pour le traitement de la gale, a été testée sur plusieurs centaines de personnes dans des essais comparatifs. L'ivermectine par voie orale a été aussi efficace que les applications d'antiparasitaires sur tout le corps, mais son emploi est bien plus pratique.

Les limites sont principalement liées à sa facilité d'emploi, qui peut faire craindre une banalisation et des oublis : ce n'est pas un médicament à utiliser comme un "test diagnostique" pour toutes les démangeaisons ; et son emploi ne doit pas faire oublier que le parasite doit aussi être éliminé des vêtements et de la literie.

Une inquiétude sur son emploi chez les sujets âgés a été provoquée par la publication d'un rapport, faisant état d'un excès de mortalité dans une institution pour personnes âgées démentes, dans les mois suivant un traitement par ivermectine. Cet effet a été recherché par d'autres équipes, en traitement de la gale et en traitement de l'onchocercose. Ces études complémentaires sont rassurantes : un lien de causalité entre le traitement par ivermectine et l'excès de mortalité observé est peu probable.

L'ivermectine est commercialisée en France, sous le nom de marque Stromectol°. Pour la gale, ce médicament est un progrès notable pour les traitements de masse, notamment en cas d'épidémie en institution, ainsi que dans des situations endémiques dans des pays pauvres.

Les maladies cardiovasculaires
L'insuffisance cardiaque est, comme son nom l'indique, une incompétence du cœur à assurer sa fonction d'éjection et de circulation du sang, qui se traduit le plus souvent par un essoufflement pour des efforts modestes, un œdème pulmonaire ou des œdèmes généralisés. C'est, notamment, une des complications de l'infarctus du myocarde. Cette situation clinique est donc fréquente dans la population âgée, source de décès, de nombreuses hospitalisations et de handicaps importants.

Plusieurs médicaments ont permis d'améliorer le pronostic de cette maladie (des inhibiteurs de l'enzyme de conversion, des diurétiques, des bêta-bloquants). Mais chez les malades sévèrement atteints, le traitement peut malgré tout être insuffisant et ne pas éviter une gêne importante.

Un essai clinique, l'essai RALES, s'est intéressé à ces insuffisants cardiaques, dont la maladie n'était pas bien stabilisée par un traitement standard. Il a été conduit il y a déjà quelques années. Cet essai a montré que l'ajout au traitement de spironolactone à faible dose diminuait la mortalité : 10 % de décès en moins deux ans plus tard. La spironolactone a aussi diminué la fréquence des hospitalisations pour problème cardiaque et a eu un effet favorable sur la gêne fonctionnelle.

Cela ne va pas sans risque. En effet, le principal inconvénient de ce diurétique particulier est qu'il diminue l'excrétion du potassium et favorise les hyperkaliémies (l'augmentation du potassium sanguin), qui exposent à un fort risque d'arrêt cardiaque et donc de décès. Ce risque survient surtout quand la spironolactone est associée à un inhibiteur de l'enzyme de conversion, une autre famille de médicaments qui fait justement partie du traitement standard de l'insuffisance cardiaque. L'utilisation de spironolactone dans l'insuffisance cardiaque doit donc s'accompagner d'une surveillance étroite de la kaliémie, aussi rigoureuse que durant l'essai RALES, pour espérer obtenir les mêmes bénéfices que cet essai.

Remarquez que ce médicament est commercialisé en France depuis 1982. Le rapport de l'essai RALES a été publié en 1999. Un exemple qui démontre que la recherche ne doit pas s'arrêter à l'obtention de l'autorisation de commercialisation. Des tâtonnements et de nouveaux essais cliniques sont nécessaires pour savoir utiliser le plus utilement les nombreux médicaments déjà commercialisés.


Un progrès thérapeutique peut aussi consister en une prévention plus efficace, particulièrement pour les nouveau-nés
On se rappelle que la simple recommandation de coucher les nouveau-nés et les jeunes nourrissons sur le dos s'est accompagnée en France d'une diminution de 700 à 800 morts subites de nourrissons chaque année.

Encore dans le domaine des nouveau-nés, chaque année en France, environ 700 grossesses sont affectées d'anomalies de fermeture du tube neural. Ce sont principalement des spina bifida, qui sont une malformation du rachis et des structures nerveuses lombaires. Plus graves, ces anomalies sont parfois des anencéphalies, c'est-à-dire une absence de cerveau. L'anencéphalie n'est pas viable hors de l'utérus. Les spina bifida sont sources de handicaps importants : des paralysies et des déformations des membres inférieurs et divers troubles neurologiques déficitaires.

Depuis 1995, on sait que, dans la population générale, un apport quotidien de 0,4 mg d'acide folique durant le mois qui précède la conception, puis pendant le premier trimestre de la grossesse, réduit fortement le risque d'anomalie de fermeture du tube neural. Une autre solution, mise en œuvre dans certains pays, est la supplémentation alimentaire en acide folique, c'est-à-dire l'enrichissement en acide folique d'un produit alimentaire de base comme la farine.

Ce choix n'a pas été fait en France. Acide folique CCD° 0,4 mg est le premier médicament commercialisé en France qui permette cette prévention, à dose correcte et avec les garanties offertes par le statut de médicament. C'est un progrès thérapeutique notable.

Malheureusement les négociations entre les autorités du médicament et la firme pharmaceutique ne semblent pas avoir permis d'aboutir à son remboursement par l'Assurance maladie. Notez que l'acide folique est commercialisé en tant que médicament en France depuis 1947 pour d'autres indications, mais sous forme de comprimés dosés à 5 mg, soit 12,5 fois la dose nécessaire à cette prévention dans la population générale.

Ces progrès n'ont pas été le fruit de la recherche qui s'inscrit dans la course aux nouvelles substances. Pourtant, les progrès réalisés concernent de très nombreuses personnes, réduisent des souffrances, préviennent des malformations graves.
Les progrès thérapeutiques viennent aussi souvent de travaux intelligents sur des substances qui ne sont pas nouvelles, et de travaux auxquels pourtant il est fait bien peu de publicité.

© La revue Prescrire 23 janvier 2003