Revue Prescrire, article en une, Palmarès 2002 des médicaments (2)
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L'année 2002 des médicaments : le manque d'évaluation comparative freine l'émergence des progrès thérapeutiques
 
Les Palmarès Prescrire 2002 ont été rendus publics au cours d'une conférence de presse qui s'est tenue le 23 janvier 2003 Salle Gaspard, au siège de la revue Prescrire.
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Enrichir sa panoplie thérapeutique
Revue Prescrire n°235, janvier 2003 : 34-64.
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L'année 2002 des médicaments - Spéculations boursières ou soins des malades : il faut choisir
646 dossiers étudiés, 233 nouveaux médicaments ou nouvelles indications, 4 "intéressant", 9 "apporte quelque chose", etc.
Revue Prescrire n°236, février 2003 : 136-143.
(pdf, 195 Ko)
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Europe et médicament : les points-clés de la campagne
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Conference2002.zip

En 2002 comme durant les années précédentes, la surveillance exhaustive des nouveautés du marché français du médicament nous a montré quelques progrès thérapeutiques, un peu perdus dans une masse de simples nouveautés commerciales.

Sur 233 dossiers de nouveautés que nous avons étudiés en 2002, nous avons porté 196 fois la cotation "n'apporte rien de nouveau" ; 18 fois "éventuellement utile" ; 9 fois "apporte quelque chose" et 4 fois "intéressant" (et 6 fois "pas d'accord" quand la balance bénéfices-risques est défavorable aux patients). Un progrès thérapeutique ne serait-ce que minime n'a donc été apporté que dans 13 % des cas ; même si l'on retire les simples copies du total, il s'agit de chiffres habituels pour nous, sans aucune tendance à l'amélioration ni à la détérioration depuis des années.
C'est un constat général. Les avis de la Commission de la transparence sont souvent un peu plus favorables que les nôtres, mais à peu de choses près.

Hypertension artérielle : un exemple d'essai comparatif finalement en faveur du médicament le plus ancien
Le mois dernier ont été publiés en détail les principaux résultats de l'essai américain ALLHAT, qui avait commencé en 1994. Cet essai a comparé de façon méthodique, chez plus de 30 000 hypertendus, 4 médicaments de l'hypertension artérielle : un des plus anciens, la chlorthalidone, un diurétique dont l'autorisation de mise sur le marché français (AMM) date de 1977, sous le nom d'Hygroton°, et qui n'est même plus commercialisé en France ; un inhibiteur calcique parmi les antihypertenseurs les plus vendus en France l'amlodipine (Amlor°, de Pfizer, mis sur le marché en 1990) ; un inhibiteur de l'enzyme de conversion, IEC, le lisinopril, vendu en France sous les noms de Prinivil° par Bristol-Myers Squibb et Zestril° par AstraZeneca, mis sur le marché en 1987 ; et un alpha-bloquant non commercialisé en France.
Aucun des 3 médicaments plus récents n'a fait mieux que le premier, que ce soit en mortalité totale, ou en prévention des complications cardiovasculaires. Ils ont même fait moins bien pour certaines complications sérieuses, telles que l'insuffisance cardiaque.

Les agences n'exigent aucune preuve de progrès thérapeutique pour les nouveaux médicaments
Les règles du jeu actuelles en matière d'AMM, et plus généralement de régulation du marché, ne sont pas adaptées. Pour obtenir une AMM, la firme doit montrer que son médicament est plus efficace qu'un placebo, et que ses effets indésirables à court terme paraissent acceptables en regard de son efficacité. Il n'est pas demandé de comparaison aux traitements de référence.

Certes, les firmes mènent assez souvent des essais comparatifs, mais dans la majorité des cas ces comparaisons sont biaisées à l'avantage de leur médicament. Cela se comprend étant donné les enjeux financiers.

Un exemple flagrant de manipulation de ce genre a été largement médiatisé l'an passé, c'est l'affaire de l' ''essai CLASS'', où le célécoxib, vendu sous le nom de Celebrex°, un anti-inflammatoire de la famille des coxibs, a été comparé à 2 autres anti-inflammatoires. Il s'agissait en fait de 2 essais différents, regroupés pour donner de l'ampleur aux résultats apparemment favorables au Celebrex° publiés dans le JAMA, une revue américaine réputée. Mais ces résultats n'étaient que des extrapolations à un an des valeurs observées au moment le plus favorable au Celebrex°, à 6 mois de traitement. Les valeurs réellement observées au-delà de 6 mois n'étaient plus en faveur du Celebrex°. Ce n'est que par l'examen attentif des données détaillées mises à disposition par l'agence américaine du médicament, la FDA, que la tromperie a été découverte.

Tout le monde paye les pots cassés !
Les patients d'abord, du fait de la lenteur des décisions en pharmacovigilance, et des manques de l'évaluation approfondie des médicaments déjà existants ;
les soignants, qui pourraient faire mieux, s'ils étaient mieux et plus vite informés pour choisir le meilleur traitement ;
les pouvoirs publics, qui payent les prétendues innovations au prix fort, mais sans bénéfice de santé publique ;
et à plus long terme, les firmes elles-mêmes, dont le crédit et la réputation baissent de plus en plus.

Les choses s'amélioreront si les règles du jeu changent. En premier lieu, exiger des firmes des preuves de progrès thérapeutique tangibles pour obtenir une AMM les stimulera vers une recherche plus constructive ; exiger et organiser la transparence en matière d'évaluation clinique et de pharmacovigilance permettra de limiter les fraudes.

Cela ne peut se faire à l'échelle d'un pays comme la France. C'est au moins au niveau européen qu'il faut agir, d'autant que les projets de nouvelle Directive et de nouveau Règlement concernant le médicament, en cours de discussion, ne vont pas dans le bon sens, sur ce point précis. La Direction générale Entreprise de la Commission européenne, qui encadre l'Agence européenne du médicament, raisonne toujours à court terme en faveur de industriels, et s'oppose à l'évaluation comparative. Cette agence est du reste financée principalement par les firmes pharmaceutiques, via les redevances et autres taxes.

C'est pourquoi la revue Prescrire participe au Collectif Europe et médicament dont vous suivez par ailleurs les actions. Le Collectif a déjà obtenu des résultats positifs importants, tels que la réévaluation à 5 ans de toute autorisation de mise sur le marché. Il continue son travail, et on peut espérer que les textes adoptés cette année seront encore améliorés, en faveur de la santé publique, dans l'intérêt bien compris de tous.

© La revue Prescrire 23 janvier 2003