L'orlistat, un inhibiteur de lipases gastro-intestinales, diminue l'absorption digestive des graisses. Dans l'Union européenne, l'orlistat a été disponible, dès 1998, sur prescription médicale, en gélules à 120 mg (Xenical° - Roche) pour le traitement de l'obésité chez les adultes, en association à une alimentation hypocalorique (1). Depuis mai 2009, l'orlistat est aussi commercialisé sans être soumis à prescription médicale, en gélules à 60 mg (Alli° - GlaxoSmithKline Santé Grand Public), chez les adultes « en association à un régime modérément hypocalorique et pauvre en graisse, dans le traitement du surpoids (indice de masse corporelle (IMC) = 28 kg/m2) » (a,b)(2,3).

L'orlistat est le premier médicament autorisé dans l'Union européenne, selon une procédure centralisée, à sortir du domaine des médicaments de prescription pour entrer dans le domaine de l'"automédication" (alias procédure de "switch") (4).

Exonération de la liste I, mais pas en "libre accès"
En France, un "switch" se traduit par une exonération de la réglementation des substances réservées à la prescription (5). Ainsi, selon un arrêté du 22 avril 2009, l'orlistat est exonéré de la liste I des substances vénéneuses pour les formes solides destinées à la voie orale, jusqu'à une dose de 60 mg par unité de prise, une quantité maximale de 5 400 mg par boîte, correspondant à une durée de traitement maximale de 30 jours (6).

En France, Alli° n'est pas inscrit sur la liste des médicaments dits de "médication officinale", alias en "libre accès".

Refus d'une année d'exclusivité des données par la Commission européenne
Selon l'article 74 bis de la directive européenne 2004/27/CE sur le médicament, une année supplémentaire de protection des données peut être accordée à une firme pour le "switch" d'un médicament de prescription en médicament non soumis à prescription, « sur la base d'essais précliniques ou cliniques significatifs » (7). Cette mesure empêche une autre firme de demander une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour une copie du médicament "switché" en utilisant les données d'évaluation de ce médicament.

Dans le cas de l'orlistat, la Commission d'AMM européenne (CHMP) a jugé que la demande d'une année d'exclusivité des données par la firme ne repose pas sur des essais précliniques ou cliniques tels que définis plus haut (8). De plus, le CHMP a estimé que les données étatsuniennes de pharmacovigilance disponibles depuis l'autorisation sans prescription médicale de l'orlistat en 2007 n'ont pas montré de « nouvelle information ou préoccupation significative en matière de sécurité », et qu'il n'est donc pas nécessaire de fournir de nouvelles données à l'appui du "switch" (8).

L'avis défavorable du CHMP, motivé et cohérent, est clairement exposé dans une annexe IV de l'ampliation d'AMM d'Alli° (8). La Commission européenne a suivi cet avis et a refusé d'accorder une année d'exclusivité des données à la firme pour l'orlistat.

Perte de poids modeste, mais des risques sérieux
Pour les patients obèses ou en surpoids, l'orlistat associé à une alimentation hypocalorique ne constitue, au mieux, qu'une aide modeste et souvent transitoire en termes de perte de poids (3).
Certains effets indésirables de l'orlistat sont fréquents et gênants, tels les pertes anales graisseuses, les incontinences fécales (9). Des hyperoxaluries et des néphropathies à l'oxalate ont aussi été rapportées (10). Et les risques d'effets indésirables métaboliques de l'orlistat sont inconnus à long terme (9).

Interactions médicamenteuses à prévenir
L'orlistat expose à des risques d'interactions médicamenteuses : la biodisponibilité des contraceptifs oraux est réduite lors de diarrhées sévères liées à l'orlistat, exposant ainsi les femmes à une grossesse non désirée ; l'absorption de la ciclosporine (Néoral°, Sandimmun°), des vitamines liposolubles A, D, E, K ou encore des antivitamine K est diminuée par l'orlistat (c)(9). Une diminution de l'absorption des sels iodés et de la lévothyroxine (Lévothyrox°) exposant à des troubles thyroïdiens est suspectée, ainsi qu'une diminution de l'absorption de certains antiépileptiques exposant à des convulsions (10).

Prix élevé comparé au service rendu aux patients
Alli° est vendu aux prix publics conseillés de 39,90 euros la boîte de 42 gélules et de 59,90 euros la boîte de 84 gélules (11). Pour les patients, la dépense journalière pour trois doses de 60 mg est d'environ 2,00 euros. C'est beaucoup pour un traitement d'efficacité modeste et source d'effets indésirables (3).

En pratique, priorité aux mesures non médicamenteuses
Dans un contexte de diffusion large et médiatisée de l'orlistat, il revient au pharmacien de jouer pleinement son rôle de conseil auprès des patients : limiter les dérives d'utilisation par des personnes non obèses, en particulier des jeunes femmes "angoissées" par leur ligne, et rappeler qu'il ne s'agit pas d'un remède miracle. Et ce, en gardant ses distances vis-à-vis de la prétendue "formation des pharmaciens" que la firme a prévu d'organiser elle-même pour la dispensation d'Alli° (12) !

Mieux vaut promouvoir des mesures non médicamenteuses, tels un soutien personnalisé, une diététique réfléchie et une activité physique adaptée (13).

La commercialisation de l'orlistat sans prescription médicale sert davantage l'intérêt de la firme que celui des patients : selon le président de GlaxoSmithKline Santé Grand Public, « depuis son lancement en juin 2007 aux États-Unis, Alli est devenu numéro trois des ventes sur le marché américain de l'automédication. Cela donne une idée de l'enjeu de l'arrivée de ce produit en France » (14).

©Prescrire 1er juin 2009
Rev Prescrire 2009 ; 29 (308) : 420-421.
_________
Notes
a- L'évaluation de l'orlistat est détaillée dans la référence 1.
b- On peut noter que, dans le RCP d'Alli°, les recommandations d'arrêt du traitement en cas d'inefficacité sont moins contraignantes que dans le RCP de Xenical°. Il est mentionné, au chapitre "Posologie et mode d'administration" du RCP d'Alli° : « les patients n'ayant pas perdu de poids au bout de 12 semaines de traitement (…) doivent consulter leur médecin ou un pharmacien. Il peut être nécessaire d'arrêter le traitement ». Alors qu'il est précisé, au chapitre "Indications" du RCP de Xenical° : « le traitement (…) doit être arrêté après 12 semaines si les patients n'ont pas perdu au moins 5 % du poids mesuré au début du traitement médicamenteux » (réf. 1,2).
c- La firme GlaxoSmithKline s'est engagée à réaliser deux enquêtes d'utilisation en automédication de l'orlistat à 60 mg dans l'Union européenne. Selon le CHMP, les données supplémentaires obtenues pourraient permettre de « garantir un usage sûr et efficace du produit dans des conditions de vente sans ordonnance » (réf. 8).
_________
Références
1- Prescrire Rédaction "orlistat-Xenical°. Tout au plus une petite aide aux mesures diététiques" Rev Prescrire 2001 ; 21 (222) : 740-743.
2- Commission européenne "RCP-Alli 60 mg gélules" 20 janvier 2009 : 8 pages.
3- Prescrire Rédaction "orlistat à demi-dose sans ordonnance-Alli°. Excès de poids : souvent inconfortable et sans "miracle"" Rev Prescrire 2009 ; 29 (305) : 175.
4- Prescrire Rédaction "À côté de la plaque" Rev Prescrire 2009 ; 29 (305) : 167.
5- Prescrire Rédaction "L'exclusivité commerciale après un "switch" : autre moyen de protectionnisme industriel" Rev Prescrire 2003 ; 23 (245) : 827.
6- "Arrêté du 22 avril 2009 modifiant l'arrêté du 22 février 1990 portant exonération à la réglementation des substances vénéneuses" Journal Officiel du 30 avril 2009 : 7324.
7- "Directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 modifiant la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain" Journal Officiel de l'Union européenne du 30 avril 2004 : L 136/34.
8- Commission européenne "Annexe IV de l'ampliation d'AMM-Conclusions scientifiques et motifs de refus de la demande d'exclusivité des données d'une année présentés par l'EMEA" 20 janvier 2009 : 6 pages.
9- Prescrire Rédaction "13-1-3. Patients sous orlistat" Rev Prescrire 2008 ; 28 (302 suppl. interactions médicamenteuses).
10- EMEA - CHMP "EPAR Xenical (rev. 14) - Procedural Steps taken" : 5 pages ; mis en ligne sur le site internet de l'EMEA le 4 mai 2009.
11- AFP "Arrivée d'Alli, premier médicament pour maigrir sans ordonnance" 29 avril 2009 : 2 pages.
12- "L'orlistat disponible en OTC au printemps 2009" Le Moniteur des pharmacies ; (2758) : 25.
13- Prescrire Rédaction "Obésité : maigrir sans médicament. Troisième partie" Rev Prescrire 2007 ; 27 (282) : 275-281.
14- "Un médicament promet aux obèses de perdre du poids sans ordonnance" Le Monde 6 février 2009 ; site internet www.lemonde.fr : 2 pages.