Le plus souvent, on est confronté au cas d'un traitement
médicamenteux déjà installé, auquel
on envisage d'ajouter un autre médicament.
Parfois, on est amené à retirer un médicament
d'une association jusque-là bien supportée. Et ce
retrait peut provoquer un déséquilibre posologique
pour le médicament restant. D'autres fois, ce sont deux médicaments
"interactifs" qui sont administrés en même
temps.
Pour prévenir les effets indésirables par surdosage,
par addition d'effets indésirables, ou encore par sous-dosage
et défaut d'efficacité, de l'un ou des deux médicaments
de l'association, on peut guider sa pratique autour de 7 principes
simples, mais fondamentaux.
Principe n° 1
Les conséquences cliniques d'une interaction médicamenteuse
sont en rapport avec les effets cliniques des médicaments
impliqués
Les conséquences cliniques d'une interaction médicamenteuse
sont en rapport avec les effets désirés (thérapeutiques)
ou indésirables d'un des deux médicaments concernés,
ou des deux. Et cela dans tous les cas : que le mécanisme
soit d'ordre pharmacodynamique (addition d'effets ou antagonisme
d'effets), ou qu'il soit d'ordre pharmacocinétique (augmentation
ou diminution de la présence du médicament dans l'organisme).
L'excès des effets thérapeutiques
ou des effets indésirables est la conséquence la plus
fréquente et la plus préoccupante. L'importance
des conséquences cliniques liées à l'introduction
d'un médicament aux côtés d'un médicament
déjà installé, est fonction de nombreux facteurs
: l'ampleur de l'interaction prévisible, les conséquences
cliniques d'une augmentation des effets de ces médicaments,
la nature de leurs effets indésirables dose-dépendants,
diverses caractéristiques du patient (âge, pathologies
associées, etc.).
Le mécanisme est : soit une addition d'effets thérapeutiques
ou indésirables, communs à chacun des deux médicaments
associés, ou complémentaires (interaction d'ordre
pharmacodynamique) ; soit une augmentation de la présence
d'un des médicaments dans l'organisme (interaction d'ordre
pharmacocinétique).
Exemples : l'effet hypoglycémiant de certains médicaments
s'ajoute à celui des sulfamides antidiabétiques, par
interaction d'ordre pharmacodynamique. L'érythromycine diminue
l'élimination du disopyramide, par interaction d'ordre pharmacocinétique,
d'où une tendance au surdosage en disopyramide. Les effets
indésirables rénaux s'additionnent lors de l'association
d'un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) avec un
diurétique ou un inhibiteur de l'enzyme de conversion (IEC).
Les conséquences cliniques d'une perte
d'efficacité sont tout autant à envisager.
Les effets indésirables d'une association peuvent être
la conséquence d'une perte d'activité de l'un ou l'autre
des médicaments. L'importance des conséquences cliniques
est là encore fonction de nombreux facteurs : l'ampleur de
l'interaction prévisible, les conséquences cliniques
de la perte de l'activité du médicament concerné,
la gravité de la pathologie initialement traitée,
diverses caractéristiques du patient (âge, pathologies
associées, etc.).
La résurgence des symptômes initiaux qui ont motivé
la prise d'un médicament doit ainsi faire rechercher l'introduction
récente d'un médicament susceptible de diminuer l'efficacité
du traitement en cours.
Le mécanisme est soit un antagonisme d'effets (interaction
d'ordre pharmacodynamique) ; soit une diminution de la présence
du médicament dans l'organisme (interaction d'ordre pharmacocinétique).
Exemples : un médicament inducteur enzymatique diminue l'effet
de nombreux médicaments par interaction d'ordre pharmacocinétique,
par exemple un contraceptif hormonal. Un anti-inflammatoire non
stéroïdien (AINS) diminue l'effet d'un antihypertenseur,
quel qu'il soit, en raison d'une interaction d'ordre pharmacodynamique
(antagonisme d'effet).
Principe n° 2
Les conséquences cliniques d'une interaction
se manifestent non seulement lors de l'ajout d'un médicament,
mais aussi lors de son arrêt
Quand on arrête un médicament qui était à
l'origine d'une interaction d'ordre pharmacocinétique, mais
avec lequel on avait su trouver un équilibre, il faut s'attendre
à devoir trouver un nouvel équilibre pour le médicament
restant : diminution de la dose, si on a arrêté un
inducteur enzymatique ; augmentation de la dose, si on a arrêté
un inhibiteur enzymatique.
Exemple : lorsqu'un traitement anticoagulant par antivitamine K
est en cours et équilibré de façon satisfaisante,
l'arrêt d'un inducteur enzymatique associé entraîne
une diminution du métabolisme de l'antivitamine K, son accumulation,
son surdosage et un risque hémorragique augmenté.
Principe n° 3
Pour prévenir les conséquences
néfastes des interactions, mieux vaut éviter les associations
à risques
Il est rarement justifié de déséquilibrer un
traitement installé satisfaisant en introduisant un médicament
à risques d'interactions. Un médicament à risques
d'interactions peut le plus souvent être remplacé par
un autre médicament à moindres risques d'interactions,
et ayant une activité thérapeutique proche.
Choisir une alternative revient alors à faire un compromis
entre les médicaments les mieux évalués dans
une classe et les risques d'interactions.
Exemples : la ranitidine n'est pas moins évaluée que
la cimétidine, et elle expose à moins de risques d'interactions
d'ordre pharmacocinétique. Le dossier d'évaluation
de la spiramycine est moins étoffé que celui de l'érythromycine,
mais la spiramycine expose à beaucoup moins d'interactions
d'ordre pharmacocinétique que l'érythromycine.
Principe n° 4
Certaines associations à risques d'interactions
sont acceptables, à condition de pouvoir organiser la gestion
des conséquences cliniques
Une association à risques est envisageable à deux
conditions.
Il faut tout d'abord s'assurer que l'association est vraiment pertinente
sur le plan thérapeutique, car il n'est pas justifié
d'exposer un patient à des risques d'interactions médicamenteuses
si les médicaments utilisés n'ont pas de bénéfice
tangible.
En outre, les conséquences doivent être maîtrisables
: symptômes avant-coureurs de perte d'efficacité ou
d'apparition d'un effet indésirable reconnaissables par le
patient informé, ou par le soignant ; et/ou surveillance
possible, surveillance clinique ou biologique, en particulier dosage
de la concentration plasmatique du médicament concerné.
Si le traitement ajouté est un traitement au long cours,
il est alors possible d'adapter les doses du traitement déjà
installé ou du traitement ajouté, de façon
à obtenir un nouvel équilibre.
Exemples : l'augmentation de l'effet anticoagulant des antivitamine
K est repérable par la surveillance de l'INR. L'augmentation
de l'effet sédatif d'une benzodiazépine peut être
gérée si le patient est prévenu.
Dans les cas où un effet indésirable grave peut survenir
inopinément, et qu'aucune surveillance clinique ou autre
ne permet de l'anticiper, il est préférable de ne
pas associer un médicament à risques d'interaction.
Exemple : l'association d'un médicament inducteur enzymatique
à une contraception hormonale expose à une inefficacité
contraceptive sans moyen de surveillance pouvant alerter avant la
survenue d'une grossesse ; dans ce cas, il vaut mieux choisir une
contraception insensible à l'interaction, ou ajouter une
contraception complémentaire pendant la période de
l'interaction, ou utiliser un autre traitement non inducteur enzymatique.
Principe n° 5
Certains patients sont plus à risques
que d'autres
Le contexte du patient influence la prise en charge des conséquences
cliniques liées à une interaction médicamenteuse
: les pathologies associées, les capacités du patient
et de son entourage à prendre en charge un éventuel
effet indésirable, etc.
Exemples : l'apparition d'une somnolence est acceptable dans la
mesure où le patient est informé du risque, et qu'il
peut surseoir à des activités nécessitant une
bonne vigilance pendant la période d'adaptation du traitement
(conduite automobile, conduite de machines, plongée sous-marine,
etc.). Le risque d'hypoglycémie peut être géré
par un patient diabétique de type 1 qui a l'habitude de surveiller
ses glycémies et de réagir aux symptômes d'alerte
; il ne peut guère être géré efficacement
par un patient qui ne ressent pas les symptômes, n'a pas l'habitude
de surveiller sa glycémie, etc.
Principe n° 6
La durée de la période à
risques n'est pas uniforme
La durée de la période à risques détermine
l'importance de la surveillance du patient.
La durée de la période à risques dépend
du mécanisme de l'interaction et des substances en cause.
Les interactions d'ordre pharmacocinétique par ralentissement
de l'élimination au niveau rénal surviennent, en général,
en quelques jours. La cinétique de la mise en place d'une
interaction est par contre de l'ordre de quelques semaines dans
le cas d'un inducteur enzymatique.
La durée de la période à risques dépend
aussi de la demi-vie d'élimination plasmatique du médicament
concerné, le délai de stabilisation des concentrations
plasmatiques d'un médicament nouvellement pris étant
de l'ordre de 5 demi-vies.
Exemple : l'amiodarone a une demi-vie d'élimination plasmatique
de plusieurs semaines ; il faudra donc plusieurs mois pour stabiliser
l'INR chez un patient traité par antivitamine K, chez lequel
on introduit ou on arrête l'amiodarone.
Principe n° 7
Les patients doivent être informés
Les patients qui prennent au long cours des médicaments à
risques d'interactions doivent être prévenus et avertis
précisément de ces risques. Leur vigilance est alors
la première garantie de prévention : y compris vis-à-vis
des prescriptions par un prescripteur nouveau (urgence, etc.) et
de l'automédication. En cas d'association justifiée
mais à risques d'interactions, les patients sont aussi en
première ligne pour surveiller les signes d'alerte et aider
à ajuster les doses.
©La revue Prescrire 1er mars 2005
Rev Prescrire 2005 ; 25 (259 suppl.) : 8-9.
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