Revue Prescrire, article en une, Évaluation avant mise sur le marché : sacrifiée aux dépens des patients , juin 2008
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Évaluation avant mise sur le marché :
sacrifiée aux dépens des patients

 
Dans sa proposition sur la pharmacovigilance, la Commission européenne propose une régression majeure dans l'évaluation des médicaments.
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L´évaluation du médicament, dans le cadre réglementaire communautaire, se caractérise depuis la Directive Médicament de 1965 par la nécessité de démontrer la qualité, l´efficacité et la sécurité du médicament, en préalable à l'obtention d'uneautorisation de mise sur le marché. Depuis quelques années, les procédures (AMM) "dérogatoires" avec AMM facilitées et accélérées se sont multipliées : AMM conditionnelles, AMM pour circonstances exceptionnelles, etc. (1).

Dans sa proposition sur la pharmacovigilance, la Commission va encore plus loin dans la dérégulation.

Vers la généralisation d'AMM au rabais

Des années d'expérience des procédures d´AMM facilitées et accélérées montrent, en Europe comme aux États-Unis, que les firmes ne tiennent pas leurs engagements en matière d'évaluation post-AMM (2,3). Et chacun peut constater aussi qu'en pratique, les autorités ne retirent pas du marché les médicaments des firmes qui n'ont pas rempli les conditions prévues  (2,3).

Des "plans de gestion du risque" sont proposés dans le but affiché d´accélérer la mise sur le marché de nouveautés, avant tout pour servir les intérêts économiques des firmes : « des autorisations de mise sur le marché plus précoces permettent un retour sur investissement plus rapide, une augmentation de la confiance des investisseurs, donc la réduction du coût total de développement du produit » (4, section 3.2.1 de l´introduction).

Pourtant, la Commission propose très précisément d´amender l´article 22 de la Directive 2001/83/CE pour faire des AMM conditionnelles, non plus une exception, mais la règle : la notion de « circonstance exceptionnelle » disparaîtrait, ainsi que les restrictions précisant que cette procédure n´est autorisée que pour « des raisons objectives et vérifiables » et que « le maintien de l'autorisation est lié à la réévaluation annuelle de ces conditions » (4).

L´élaboration des plans de gestion du risque sert dès lors à rassurer les citoyens européens et à permettre ce glissement vers la généralisation des AMM conditionnelles, c'est-à-dire prématurées (4).

Suppression du critère d´efficacité démontrée : une régression majeure

Le critère d'une efficacité démontrée pour l´obtention d´une AMM a été introduit suite à l´affaire du thalidomide aux Etats-Unis en 1962, puis en Europe en 1965 (5,6).

Seule une efficacité démontrée peut justifier d´exposer l´ensemble de la population aux risques d´effets indésirables lors de la mise sur le marché d´un nouveau médicament. Il est indispensable de disposer d'une évaluation qui renseigne de manière probante sur l'efficacité d'un médicament, afin de la mettre en balance avec les risques d'effets indésirables connus, suspectés et prévisibles.

Pourtant, la Commission n'hésite pas à proposer de supprimer le « manque de preuves d´efficacité  » de la liste des motifs pour lesquelles une AMM peut être refusée (4, article 26) ou retirée (4, articles 116 et 117).

En réalité, la Commission européenne sacrifie gravement sa mission de protection des citoyens européens (article 152 du Traité instituant la Communauté européenne), et propose une régression majeure dans l'évaluation des médicaments. À terme, cette régression achèverait de ruiner la crédibilité des firmes elles-mêmes.

©Prescrire 1er juin 2008.
Rev Prescrire 2008 ; 28 (296) : 465
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Références
1- Medicines in Europe Forum and ISDB "Joint contribution to the consultation on national marketing authorisation variations. Towards centralised and transparent marketing authorisations for all medicines" September 2007. Site http://ec.europa.eu/enterprise : 2 pages.
2- US Government Accountability Office "Drug safety – Improvement needed in FDA´s postmarket decision-making" and oversight process" Report GAO-06-402, 2006. Site www.gao.gov : 63 pages.
3- Prescrire Rédaction "Suivi post-AMM : beaucoup d´annonces, mais où sont les résultats ?" Rev Prescrire 2007 ; 27 (290) : 897-898.
4- European Commission - Enterprise and industry directorate-general "Strategy to better protect public health by strengthening and rationalising EU pharmacovigilance : public consultation on legislative proposals" Brussels, 5 December 2007. Site ec.europa.eu/enterprise consulté le 6 mars 2008 : 49 pages.
5- "Commentary : the story of thalidomide reprised" Scrip 2007 ; (3316) : 6.
6- Prescrire Rédaction "Redresser le cap de la politique du médicament (suite)" Rev Prescrire 2002 ; 22 (230) : 540-547.