Revue Prescrire, article en une, Agents chimiques cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques utilisés en France, juillet 2008
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Médicaments dangereux :
les Européens tenus dans l'ignorance

   
Les journaux et les programmes d'information télévisée en Europe abordent très peu ce sujet pourtant vital.
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Médicaments dangereux : les Européens tenus dans l'ignorance
Rev Prescrire 2008 ; 28 (297) : 553.
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Ayant été invité en Europe à faire une recherche sur les médicaments, je me suis demandé pourquoi la presse européenne parlait si peu des dangers qu'ils présentent. Les lecteurs européens ne souhaitent-ils donc pas être informés de leurs risques ? Les rédacteurs de la presse écrite et de la télévision pensent-ils que ces informations ne sont pas importantes ? Chaque mois une nouvelle affaire est révélée, il serait facile d'en faire un article.

Le cas de l'aprotinine

Prenons par exemple un incident récent concernant l'aprotinine (Trasylol°), qui est largement utilisée pour réduire les hémorragies en chirurgie cardiaque. Ce médicament a fait la une des journaux étatsuniens lorsque la Food and Drug Administration (FDA, l'agence de régulation étatsunienne) a publié une mise en garde indiquant qu'il augmentait significativement les risques d'insuffisance cardiaque et d'accident vasculaire cérébral.

Cependant, si cet événement a fait les grands titres de la presse, c'est que la firme Bayer avait fait faire un essai dont les résultats montraient que ce médicament provoquait des taux élevés de décès et d'atteintes rénales et qu'elle ne les avait pas publiés (a). En Europe, la télévision et la presse écrite en ont fait peu de cas, or les firmes pharmaceutiques sont chargées de surveiller les risques une fois que les médicaments sont autorisés à être mis sur le marché. Pourquoi les Européens ne seraient-ils pas informés de ce conflit d'intérêts direct ? Les téléspectateurs et les lecteurs de journaux d'Europe ne méritent-ils donc pas d'être informés et sensibilisés ?

Le cas de l'olanzapine (Zyprexa°)

En décembre 2006, une nouvelle majeure a été annoncée aux États-Unis. Un document interne secret a révélé que des dirigeants de la firme Eli Lilly avaient dissimulé des données montrant que l'un des médicaments les plus utilisés dans le monde pour lutter contre la schizophrénie, l'olanzapine (Zyprexa°), exposait à des risques élevés d'obésité et de diabète. D'après des courriels et des documents de la firme transmis au New York Times, Lilly connaissait ces risques avant l'autorisation de mise sur le marché, et s'est employée à minimiser les données de façon à ce que les médecins ne soient pas informés des risques que couraient les patients (b). Des articles ont été publiés pendant des jours à ce sujet, mais en Europe cet événement a été très peu couvert. Pourquoi ?

Le cas de 14 somnifères

Le 14 mars 2007, la FDA a décidé d'émettre une mise en garde sur 14 somnifères très courants aux États-Unis et en Europe. En effet, ces médicaments provoquent chez certaines personnes des suffocations et des œdèmes du visage. D'autres, pendant leur sommeil, se lèvent, téléphonent, préparent un repas, conduisent même, sans en être conscients (c). Cette mise en garde a été amplement couverte dans la presse aux États-Unis, mais pas dans la plupart des journaux et des émissions d'information télévisée en Europe. Pourquoi ? On me dit que les Européens font confiance à leurs médecins et aux autorités de contrôle de leur pays et supposent que tout va pour le mieux. Si c'est effectivement le cas, ils sont naïfs, et ce manque d'information les maintient dans l'ignorance. Il semble que les Européens ne puissent pas compter sur leurs organismes de surveillance pour protéger activement leur santé publique. Il faut cependant noter que la France semble un peu plus vigilante que la plupart des autres pays.

Le cas de l'étoricoxib (Arcoxia°)

Le 12 avril 2007, la FDA a refusé à 20 voix contre 1 d'autoriser la mise sur le marché de l'étoricoxib (Arcoxia°), un nouvel antalgique de la firme Merck, car il ne présentait pratiquement aucun avantage et exposait à des risques importants de problèmes cardiovasculaires. Ce qui est intéressant, c'est que la plupart des pays européens ont autorisé la mise sur le marché de ce médicament que la FDA a jugé inutile et dangereux (d). Dans ces pays, Merck le commercialise, et les médecins le prescrivent aux patients. Or la presse en ayant peu parlé, ils ignorent ce qu'en pense la FDA. Ne faudrait-il pas poser des questions précises afin de savoir en premier lieu pour quelle raison ce médicament a été mis sur le marché, et ensuite s'il doit y rester ?

La presse joue un rôle décisif pour informer le public

Le 9 mai 2007, la presse a fait ses gros titres sur des "cadeaux" généreux dont ont bénéficié des médecins étatsuniens qui prescrivaient un médicament contre l'anémie à des patients cancéreux. Dans un seul cabinet, 6 cancérologues ont reçu 2,7 millions de dollars pour avoir prescrit des médicaments (époétines) valant 9 millions de dollars pour la firme qui les fabrique. L'une des conséquences de ces "cadeaux" est que les médecins prescrivent de façon abusive, ce qui porte les taux de globules rouges à un niveau dangereux (e). Cette information incite à savoir quelles sortes de cadeaux ou de pots-de-vin sont licites dans les différents pays européens, et quel est leur effet sur la qualité des soins aux patients.
La presse joue un rôle décisif pour informer le public et assurer la transparence des informations sur les médicaments que prennent les Européens.
Pourquoi les journaux et les programmes d'information télévisée abordent-ils si peu ce sujet alors que la matière des articles est déjà disponible à partir de grands sites web sources d'informations nouvelles et de rapports officiels ?
Le meilleur moyen de se défendre contre les risques des médicaments est de bien informer les citoyens grâce à une presse indépendante.

Donald W. Light
Université du New Jersey

©Prescrire 15 juillet 2008
Rev Prescrire 2008 ; 28 (297) : 553

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Notes
a- NDLR. Lire à ce sujet : Prescrire Rédaction "Aprotinine : hypersensibilités, thromboses et insuffisances rénales" Rev Prescrire 2007 ; 27 (281) : 195 ; Masquelier P "Aprotinine (suite)'' Rev Prescrire 2008 ; 28 (292) : 154-155 ; et dans ce numéro page 505.
b- NDLR. Lire à ce sujet : Prescrire Rédaction "Effets indésirables métaboliques de l'olanzapine : procès en cascade aux États-Unis'' Rev Prescrire 2008 ; 28 (293) : 224-226.
c- NDLR. Lire à ce sujet : Prescrire Rédaction "Zolpidem : somnambulisme et comportements automatiques" Rev Prescrire 2007 ; 27 (282) : 268.
d- NDLR. Lire à ce sujet : Prescrire Rédaction "étoricoxib-Arcoxia°. Aucune douleur ne justifie un coxib" Rev Prescrire 2007 ; 27 (287) : 645-650.
e- NDLR. Lire à ce sujet : Prescrire Rédaction "époétines : surmortalité dose-dépendante" Rev Prescrire 2007 ; 27 (282) : 268.