Le principe de l'autorisation de mise sur le marché des
médicaments a été adopté en Europe avec,
selon le premier considérant de la Directive 65/65/CEE du
26 janvier 1965, "la sauvegarde de la santé publique"
comme objectif essentiel.
Depuis ces quarante dernières années, la réglementation
de l'autorisation de mise sur le marché a été
complétée et rendue plus complexe, mais sans que cet
objectif essentiel soit remis explicitement en cause. La revue Prescrire
a toutefois noté la tendance de la Commission européenne
à oublier de plus en plus la protection de la santé
publique et à privilégier la compétitivité
des firmes pharmaceutiques. En particulier, lors de l'élaboration
de la Directive 2004/27/CE et du Règlement (CE) 726/2004,
il a fallu toute la détermination du Collectif Europe et
Médicament et d'autres représentants de la société
civile, pour éviter que le cadre législatif qui s'applique
aujourd'hui au médicament ne s'écarte pas des objectifs
de santé publique.
Le projet de règlement la Commission européenne sur
l'autorisation conditionnelle de mise sur le marché des médicaments
fait craindre une nouvelle dérive que la revue Prescrire
veut dénoncer ici avec force.
Des AMM conditionnelles sont d'ores et déjà
octroyées, sans suivi rigoureux
De fait, il est déjà fréquent que des autorisations
de mise sur le marché accordées par la procédure
européenne centralisée le soient sous conditions.
Ce phénomène n'est guère visible : il apparaît
seulement dans les dernières lignes des rapports d'évaluation
(alias EPAR) de l'Agence européenne du médicament
(EMEA) qui précisent que la commission d'autorisation de
mise sur le marché a donné un avis favorable à
l'octroi de l'autorisation de mise sur le marché (AMM), à
condition que la firme réalise certains essais cliniques
complémentaires, ou termine certains essais, ou mette en
uvre d'autres travaux tels une étude de suivi de pharmacovigilance
sur les premiers patients prenant le médicament après
AMM.
La revue Prescrire a déjà souligné que cette
manière de procéder est particulièrement risquée,
car elle revient à laisser mettre sur le marché des
médicaments insuffisamment évalués. Une telle
autorisation sous conditions peut se concevoir en situation d'urgence,
pour des malades en impasse thérapeutique auxquels le nouveau
médicament est susceptible d'apporter un progrès,
mais elle ne doit en aucun cas se généraliser. La
revue Prescrire a par ailleurs dénoncé l'absence de
visibilité sur le suivi des engagements des firmes à
remplir les conditions. Et tout donne à penser que, dans
une forte proportion, les études demandées ne sont
pas mises en uvre ou sont retardées.
L'officialisation d'une procédure dangereuse
Le règlement (CE) 726/2004 a officialisé le principe
d'une AMM conditionnelle, stipulant dans son article 14.7 qu'une
AMM (européenne centralisée) peut être accordée
en soumettant le demandeur à certaines obligations, qui seront
revues annuellement par l'Agence. Le Collectif Europe et Médicament
avait interprété cet article comme donnant une possibilité,
à titre exceptionnel. Il avait toutefois demandé,
et obtenu l'ajout de la phrase suivante : " la liste de ces
obligations doit être rendue publique ".
Un alinéa de cet article 14.7 prévoyait que les modalités
d'octroi d'une telle AMM conditionnelle seraient définies
par un autre règlement, règlement dont le projet est
aujourd'hui proposé par la Commission.
À la lumière des affaires de pharmacovigilance qui
se multiplient, le projet actuel de règlement présenté
par la Commission est inadmissible du point de vue de la santé
des populations. Tel qu'il se présente aujourd'hui, il ne
vise pas à venir en aide à des malades en détresse
dans quelques cas exceptionnels, mais à ouvrir en grand les
portes du marché européen à des médicaments
insuffisamment évalués :
- un champ d'application beaucoup trop large : selon le projet d'article 2, la procédure pourra
concerner tout médicament pour le traitement, la prévention,
ou le diagnostic de toute maladie chronique ou gravement invalidante
ou constituant une menace pour la vie des patients ; ainsi que tout
médicament orphelin et tout médicament à utiliser
en situation d'urgence (vraisemblablement en cas de pandémie,
d'attaque de bioterrorisme, etc.). La dernière partie de
cette définition (médicament orphelin et situation
d'urgence) est acceptable, mais le début de la définition
élargit le champ d'application à de très nombreux
médicaments et elle est inacceptable ;
- des critères d'octroi beaucoup trop
vagues : le projet d'article 4 stipule que la procédure
s'applique si le demandeur " est capable de démontrer
que la balance bénéfices-risques de son médicament
est présumée positive ". Et le projet d'article
5, très bref, qui concerne l'évaluation de la demande
ne donne aucune précision sur le type de preuves à
apporter par le demandeur, ni sur les critères d'évaluation.
Il précise simplement que les éventuels essais supplémentaires
exigés comme conditions à l'octroi de l'AMM conditionnelle,
ne doivent pas être plus contraignants que pour une AMM normale.
S'agissant de pathologies graves, le moins que l'on puisse exiger
est la réalisation d'essais comparatifs contre traitement
de référence, sur des critères cliniques d'évaluation ;
- des modalités de suivi non contraignantes : le projet d'article 6 prévoit que l'AMM conditionnelle
est octroyée pour un an, et qu'elle est renouvelable si besoin,
mais que la Commission d'autorisation de mise sur le marché
peut aussi décider que les conditions peuvent être
modifiées et que l'AMM peut être confirmée sans
condition. Et le projet d'article 9 qui porte sur la pharmacovigilance
prévoit seulement une remise de rapports périodiques
par le demandeur au moins tous les six mois.
- une information des patients trop discrète : le projet d'article 7 prévoit que le statut particulier
des médicaments sous AMM conditionnelle figurera sur le résumé
des caractéristiques du produit et sur la notice. Mais pour
que les patients soit mieux informés, une mention devrait
aussi figurer sur la boîte.
Un projet inadmissible au regard des affaires de pharmacovigilance
qui se multiplient
Sans entrer ici dans le détail de ce projet de règlement,
la revue Prescrire demande qu'il soit repensé radicalement,
en particulier sur les points concernant le champ d'application,
les critères d'évaluation, et le suivi des conditions.
Les quelques garanties de transparence des procédures qui
figurent dans le projet sont la moindre des choses, mais elles ne
servent à rien si l'objectif du texte n'est plus d'aider
les patients, mais seulement de faciliter l'accès au marché
de médicaments insuffisamment évalués.
La procédure d'octroi d'une AMM conditionnelle telle que
définie dans le projet actuel représente un danger
pour la santé publique. La revue Prescrire et les professionnels
de santé qui se reconnaissent dans sa démarche s'opposent
à ce projet inadmissible à l'heure où de trop
nombreux patients sont déjà victimes de médicaments
imprudemment mis sur le marché.
©La revue Prescrire 15 janvier 2005
|