Revue Prescrire, article en une, Dexfenfluramine : procès en France et ailleurs, octobre 2008
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Dexfenfluramine : procès en France et ailleurs
   
L'introduction en France d'"actions de groupes" (recours collectifs), comme il en existe déjà dans d'autres pays, changerait nettement le rapport de force entre les victimes de médicaments et les firmes.
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Dexfenfluramine : procèes en France et ailleurs
Rev Prescrire 2008 ; 28 (300) : 776-777.
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Les spectaculaires retraits du marché de médicaments, et les procès intentés ensuite par des victimes de ces médicaments, déclenchent des tempêtes médiatico-boursières. Ce fut par exemple le cas ces dernières années avec la cérivastatine (ex-Staltor°, ex-Cholstat°) ou le rofécoxib (ex-Vioxx°) (1,2). Puis les procès s'étirent sur des années, les médias ne s'intéressent guère à ces affaires qui durent, surtout lorsque les procès n'ont pas lieu en France. On oublie peu à peu, avec parfois le sentiment que l'impunité est la règle et, pire, que les procès ne servent à rien.

Pourtant, des exemples montrent que les procès peuvent avoir des conséquences positives, non seulement en termes d'indemnisation, mais surtout pour alerter l'opinion sur la nécessité d'une pharmacovigilance active et d'une plus grande transparence de l'information sur les médicaments. Les combats sont souvent trop longs mais finalement fructueux, comme dans le cas des victimes du diéthylstilbestrol (DES) (3).

Dans le domaine des anorexigènes, la reconnaissance des dommages causés aux patients a également demandé beaucoup de temps, mais des résultats sont aujourd'hui visibles.

Procès aux États-Unis

Aux États-Unis d'Amérique, la dexfenfluramine (sous le nom de Redux°) et la fenfluramine (sous le nom de Pondimin°) ont été retirées du marché en 1997 pour avoir été mises en cause dans la survenue d'atteintes des valves cardiaques chez les personnes prenant ces médicaments, seuls ou en association avec la phentermine (4,5). La dexfenfluramine, développée par Servier, était licenciée aux États-Unis à la firme Interneuron et commercialisée par la firme American Home Products (6).
Environ 60 000 patients ont intenté des procès pour avoir subi des effets cardiovasculaires liés à la prise de ces médicaments, par l'intermédiaire d'un recours collectif (4). Et selon un des cabinets d'avocats impliqués dans ces procès, 3,75 milliards de dollars d'indemnisation ont été obtenus (7).

Perte de temps en Europe

La démonstration d'un lien entre anorexigènes et hypertension artérielle pulmonaire a conduit en France à une restriction d'utilisation de ces médicaments en 1996 (8,9). Un lien avec la survenue d'atteintes graves des valves cardiaques a conduit au retrait du marché français de la fenfluramine et de la dexfenfluramine en 1997 (10).
En Europe, plusieurs firmes, dont Servier, ont contesté devant le Tribunal des Communautés européennes de première instance une décision de la Commission européenne de demander le retrait des autorisations de mise sur le marché (AMM) des anorexigènes, pour des raisons de pharmacovigilance, dont la dexfenfluramine (Isoméride°) et la fenfluramine (Pondéral°, Pondéral° Longue Action) du groupe Servier (11). Le tribunal a annulé cette décision en 2003, en estimant que la Commission européenne était incompétente, au motif que les AMM des anorexigènes étaient nationales et non centralisées (11). Mais sur le fond, le tribunal avait incité les États membres à réévaluer les substances concernées « après avoir apprécié en particulier les risques, notamment de VPC [NDLR : valvulopathies cardiaques] (…) » (11). Pendant ce temps, divers procès intentés par des patients contre la firme Servier ou des firmes en relation avec elle étaient en cours dans le monde (11).

Premier procès en France

En France, le 30 janvier 2006, un arrêt de la Cour de cassation a confirmé la condamnation de la firme Servier à indemniser une patiente victime de la dexfenfluramine (12). Cette patiente avait subi en 1994 une transplantation des poumons et une chirurgie cardiaque, en raison d'une hypertension artérielle pulmonaire survenue après un traitement par la dexfenfluramine (13).

Cet arrêt est doublement éclairant pour les soignants et les patients : il y est question d'une part d'accès aux données de pharmacovigilance, et d'autre part de qualité de l'information délivrée aux patients via la notice.

Responsabilités

Ainsi, la Cour a relevé « qu'il ressortait des études épidémiologiques et de pharmacovigilance évoquées par les experts et de l'avis même de ces derniers que la dexfenfluramine constituait un facteur favorisant de l'HTAPP [NDLR : l'hypertension artérielle pulmonaire primitive] même si elle n'en était pas la cause exclusive et que la suspension de l'AMM de l'Isoméride (…) était notamment due aux cas d'HTAPP ayant entraîné des restrictions de prescription et à l'existence d'un rapport bénéfice/risque n'apparaissant plus favorable (...)  » (13). Ayant constaté que l'état de santé de la patiente était satisfaisant avant la prescription de dexfenfluramine et que les autres causes possibles d'HTAPP avaient été écartées par les experts, la Cour en a déduit « qu'il existait des présomptions graves, précises et concordantes permettant, dans le cas de Mme Y…, d'imputer l'apparition de l'HTAPP à la prise d'Isoméride » (13).

Notice trompeuse

L'arrêt précise également qu'« à la date de la prescription, l'annexe II de l'AMM de l'Isoméride, correspondant à l'information reprise dans la notice, ne faisait aucune référence à l'existence d'un risque d'HTAPP et l'annexe I, correspondant au résumé des caractéristiques du produit dont disposait M. Z… [NDLR : le prescripteur] mentionnait seulement que des cas d'hypertension artérielle avaient été rapportés chez des patients généralement obèses sans qu'aucun lien de causalité n'ait été établi avec la prise d'Isoméride (…) » (13). La Cour a considéré que la présentation d'Isoméride° avec une telle notice et un tel résumé des caractéristiques (RCP) ne permettait pas à la patiente et à son médecin d'être suffisamment bien informés des effets indésirables potentiels du médicament.

Produits défectueux par défaut d'information

La Directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 sur la responsabilité du fait des produits défectueux (transposée 13 ans plus tard en droit français par la loi 98-389 du 19 mai 1998) (14,15) a donc été appliquée ici en suivant un raisonnement proche de celui qu'aurait tenu un professionnel de santé : les dégâts subis par la patiente sont-ils imputables au médicament (forte présomption, sinon causalité démontrée), et l'information accompagnant le médicament aurait-elle permis de les prévenir ?

Selon les termes de la loi 98-389 « Un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation (…) » (article 1386-4 du Code civil) (15).

Ces termes prennent tout leur intérêt à la lecture de l'arrêt Isoméride°. Quand des effets indésirables sont établis et qu'ils ne sont pas décrits dans la notice et le RCP, la firme est considérée comme commercialisant un "produit défectueux", et elle est « responsable du dommage causé par un défaut de son produit » (article 1386-1 du Code civil) si le lien de causalité est admis (a).

Des années et des années de lutte

Il aura fallu beaucoup de patience et d'énergie pour parvenir à cet arrêt de la Cour de cassation de janvier 2006 : la prescription de dexfenfluramine avait eu lieu en 1993, et l'hypertension artérielle pulmonaire était diagnostiquée un an après.

Pourtant les premières données relatives à une association entre anorexigènes et hypertension artérielle pulmonaire primitive datent des années 1960 pour l'aminorex et des années 1980 pour la fenfluramine (8,16). Ce lien avait été confirmé par une étude internationale publiée en 1996, l'apparition de l'hypertension pouvant survenir plusieurs années après la prise du médicament (b)(17,18).

Au Québec, la firme Servier Canada Inc, bien que niant toujours toute responsabilité, a provisionné plusieurs millions d'euros pour pouvoir indemniser des personnes qui se joindraient à un "recours collectif" intenté contre la firme (19).

Vive les actions collectives !

Cette procédure judiciaire, également dénommée "action de groupe", "action collective" ou encore "procès en nom collectif" ("class action" en anglais) permet d'engager un procès au nom de plusieurs personnes qui subissent des préjudices similaires causés par un même acteur économique (20). Cette procédure n'existe pas en France, mais sa légalisation a été évoquée pour l'automne 2008, après avoir été reportée déjà plusieurs fois (20).

Des actions de groupe seraient sans doute un moyen plus efficace que des procès isolés pour sortir de la pharmacosomnolence.

©Prescrire 1er octobre 2008
Rev Prescrire 2008 ; 28 (300) : 776-777.

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Notes
a- Le lien de causalité a été établi dans cette affaire comme il l'aurait été en pharmacovigilance. Le rapprochement entre la "causalité juridique" et l'"imputabilité" des pharmacovigilants apparaît également dans d'autres affaires des années 2000, montrant une évolution de la jurisprudence dans ce sens (réf. 21).
b- Dans le numéro de publication de l'étude établissant un lien fort entre dexfenfluramine et hypertension artérielle pulmonaire (réf. 17), le New England Journal of Medicine avait également publié un éditorial minimisant la portée de cette étude (réf. 22). Or il s'est avéré que les auteurs de cet éditorial avaient dissimulé au New England Journal of Medicine leur lien d'intérêt actuel ou passé avec la firme Servier. Ils avaient également fait partie du comité de la Food and Drug Administration qui avait approuvé la dexfenfluramine (réf. 23).
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Références
1- Prescrire Rédaction "Roulés dans la farine" Rev Prescrire 2001 ; 21 (221) : 641.
2- Prescrire Rédaction "Comment éviter les prochaines affaires Vioxx°" Rev Prescrire 2005 ; 25 (259) : 222-225.
3- Prescrire Rédaction "Diéthylstilbestrol (DES) : des dommages trente ans plus tard" Rev Prescrire 2007 ; 27 (287) : 700-702.
4- "Wyeth fen-phen reserve now $21 billion as charge dents fourth quarter" Scrip 2005 ; (3026) : 8.
5- "Anorexigènes : des cabinets d'avocats américains déposent des plaintes collectives" Dépêche APM du 10 juillet 1997 : 3 pages.
6- "Sortie de l'étude IPPHS sur risque d'hypertension pulmonaire et anorexigènes, sur fond polémique" Dépêche APM du 28 août 1996 : 5 pages.
7- Cohen, Milstein, Hausfeld & Toll PLLC "Firm resume" July 2007. Site www.cmht.com consulté le 24 août 2007 : 10 pages.
8- Prescrire Rédaction "Hypertension artérielle pulmonaire primitive et prise prolongée d'anorexigène" Rev Prescrire 1995 ; 15 (154) : 589-590.
9- Prescrire Rédaction "Anorexigènes toujours sur prescription restreinte" Rev Prescrire 1997 ; 17 (170) : 110.
10- Prescrire Rédaction "Valvulopathies cardiaques graves sous anorexigènes" Rev Prescrire 1997 ; 17 (178) : 750-751.
11- Prescrire Rédaction "Anorexigènes : deuxième arrêt du tribunal européen" Rev Prescrire 2003 ; 23 (238) : 259-260.
12- Prescrire Rédaction "Dexfenfluramine : condamnation définitive" Rev Prescrire 2006 ; 26 (270) : 185.
13- Cour de cassation. Première chambre civile "Arrêt n° 1 du 24 janvier 2006". Site www.courdecassation.fr consulté le 21 mai 2006 : 3 pages.
14- "Directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux" Journal Officiel du 7 août 1985 : L.210-29 - L.210-33.
15- "Loi n° 98-389 du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux" Journal Officiel du 21 mai 1998 : 7744.
16- Prescrire Rédaction "La saga des anorexigènes amphétaminiques" Rev Prescrire 2003 ; 23 (243) : 672-676.
17- Abenhaim L et coll. "Appetite-suppressant drugs and the risk of primary pulmonary hypertension" N Engl J Med 1996 ; 335 (9) : 609-616.
18- Prescrire Rédaction "Anorexigènes et hypertension pulmonaire : un risque prolongé" Rev Prescrire 2006 ; 26 (273) : 429.
19- "Avis aux personnes ayant consommé du Pondéral et/ou du Redux au Québec et aux membres de leur famille de l'approbation de la transaction par le tribunal". Site www.recours-collectif.ca consulté le 20 mars 2008 : 1 page.
20- "Action de groupe : le gouvernement n'est plus crédible" Dépêche du 12 juin 2008. Site www.quechoisir.org consulté le 13 juin 2008 : 1 page.
21- Demarez JP "La jurisprudence "effets indésirables"" La Lettre du Pharmacologue 2006 ; 20 (1) : 5-11.
22- Manson JE et Faich GA "Pharmacotherapy for obesity : do the benefits outweigh the risks ?" N Engl J Med 1996 ; 335 (9) : 659-660.
23- Angell M et Kassirer J "Editorials and conflicts of interest" N Engl J Med 1996 ; 335 (14) : 1055-1056.