Aux États-Unis d'Amérique, la publicité pharmaceutique
destinée au grand public a connu un développement considérable
dans la dernière décennie, notamment pour les médicaments
de prescription. Cette publicité utilise tous les médias, des journaux
à la télévision en passant par internet (1). Une
interdiction confirmée en Europe Les firmes pharmaceutiques réclament
avec insistance d'avoir ce droit dans d'autres pays, notamment en Europe, même
si l'interdiction légale est déjà largement détournée
dans les faits. Dans le cadre de la révision d'une Directive-clé
pour la politique pharmaceutique européenne, la Commission européenne
(Direction Générale Entreprises) a proposé en 2001 de lever
l'interdiction de la publicité auprès du grand public pour les médicaments
qui ne peuvent être obtenus que sur prescription (2). Sous la pression des
citoyens, dont le Collectif Europe et Médicament, les députés
européens et les ministres de la Santé ont heureusement maintenu
cette interdiction (a)(3).
La Commission européenne et les firmes
s'activent pour autoriser cette publicité. La Commission a obtenu d'être
chargée d'élaborer un rapport sur les "pratiques actuelles
en matière de communication d'information - notamment par internet - et
sur leurs risques et leurs avantages pour les patients". La Commission a
été chargée de formuler des propositions définissant
une stratégie d'information sur les médicaments (3,4). Dans
cette optique, la Délégation générale Entreprises
(DGE) et la Direction générale Santé et protection des consommateurs
(DG Sanco) de la Commission ont chargé en 2005 un groupe de travail "information
des patients" du "Pharmaceutical Forum" de faire des suggestions
en matière de "partenariats public-privé pour l'information
des patients" (5). Tout porte à craindre une large part faite aux
firmes et à leurs stratégies d'"information" des patients
(b). Les États-Unis sont déjà
au stade d'un retour en arrière Alors que certains s'agitent
en Europe pour abolir l'interdiction de la publicité grand public pour
les médicaments de prescription, sous couvert de "partenariats public-privé
pour l'information des patients", cette publicité est de plus en plus
remise en cause aux États-Unis. Les conséquences néfastes
de cette publicité grand public, en termes de santé publique, ont
été établies à partir de nombreuses enquêtes
(6,7,8). Cette remise en question grandissante se nourrit notamment de la crise
de confiance généralisée dans les firmes pharmaceutiques,
aggravée par l'affaire Vioxx°. Des responsables politiques et professionnels
de santé ont demandé l'interdiction de cette publicité (9,10).
Les firmes pharmaceutiques ont été contraintes de réagir,
et leur syndicat Pharmaceutical Research and Manufacturers of America (PhRMA)
a publié en août 2005 un "code de bonne conduite" en matière
de publicité grand public (11).
"Code
de bonne conduite", ou nuage de fumée ? Le Code comprend
15 principes et des commentaires sous forme de questions-réponses, dont
certains trahissent les limites de la volonté des firmes de vraiment corriger
leurs pratiques promotionnelles (11). Par exemple, les firmes s'engagent à
ne pas démarrer de campagne de publicité auprès du public
avant d'avoir passé "un laps de temps approprié à éduquer
les professionnels de santé sur un nouveau médicament ou une nouvelle
indication" (principe 6), mais restent libres de déterminer ce que
représente un temps "approprié" (11). Les firmes s'engagent
à mentionner des alternatives à leurs médicaments, telles
qu'un régime ou un changement de style de vie (principe 9), mais sans obligation
de mentionner un médicament ayant la même indication (11). Etc. Pour
l'association de consommateurs étatsunienne Public Citizen, ces principes
sont insuffisants et toute la publicité faite autour du guide de PhRMA
est "une tentative dérisoire pour faire croire aux gens que les principes
sont plus forts qu'ils ne sont en réalité" (12,13). L'association
Prescription Access Litigation a délivré à PhRMA, pour son
code de bonne conduite, l'une de ses "Pilules amères 2006" :
la récompense "Le renard gardien du poulailler" (14). Par ailleurs,
des responsables politiques continuent de réclamer l'interdiction de la
publicité pour des médicaments de prescription auprès du
grand public, ou le renforcement de son contrôle par l'agence du médicament
étatsunienne, la Food and Drug Administration (FDA) (12,13). En
Nouvelle-Zélande : marche arrière également Après
quelques années d'expérience de publicité grand public pour
des médicaments de prescription, la Nouvelle-Zélande a entamé
un processus de révision de sa réglementation, sur la base d'un
rapport universitaire montrant toutes les conséquences négatives
d'une telle publicité pour la relation professionnel de santé -
patient et surtout pour la qualité des soins (c)(1,15). Rester
vigilant en Europe Comme dans beaucoup d'autres domaines, l'Europe est
dans le sillage des États-Unis, avec plusieurs années de retard.
Dans le domaine de la publicité sur les médicaments, la Commission
européenne cherche encore à donner plus de libertés aux firmes
pharmaceutiques, alors même que celles-ci sont obligées de renoncer
à une partie de leur liberté aux États-Unis, pour éviter
un plus grand contrôle par l'État. Professionnels de santé
et citoyens doivent rester vigilants en Europe pour que la publicité grand
public pour les médicaments de prescription ne devienne autorisée,
insidieusement et progressivement, sous couvert d'information sur les pathologies,
de partenariat public-privé pour l'"information" sur les médicaments,
ou encore de programmes d'"aide à l'observance" des traitements
(16). Les patients ont un droit indéniable à l'information sur
la santé, les maladies et les différentes options thérapeutiques.
Mais ce n'est pas en autorisant les firmes à "communiquer" auprès
des patients en vue de développer les ventes, que l'on servira au mieux
ce droit. ©La revue Prescrire 1er novembre 2006
Rev Prescrire 2006 ; 26 (277) : 777-778. ________ Notes a-
En France, en 2006, le Code de la santé publique précise que "
La publicité auprès du public pour un médicament n'est admise
qu'à la condition que ce médicament ne soit pas soumis à
prescription médicale, qu'il ne soit pas remboursable par les régimes
obligatoires d'assurance maladie et que l'autorisation de mise sur le marché
ou l'enregistrement ne comporte pas de restrictions en matière de publicité
auprès du public en raison d'un risque possible pour la santé publique.
Toutefois, les campagnes publicitaires pour des vaccins ou les médicaments
mentionnés à l'article L. 5121-2 [produits présentés
comme supprimant l'envie de fumer ou réduisant l'accoutumance au tabac]
peuvent s'adresser au public " (réf. 17). Cette publicité grand
public est soumise actuellement à une autorisation préalable de
l'Afssaps (réf. 18). b- Le Pharmaceutical Forum a été
mis en place par la Commission européenne en 2005. Il comprend un comité
d'orientation et trois groupes de travail (information des patients, prix des
médicaments, efficacité comparée). Le Pharmaceutical Forum
devait rendre ses premières conclusions à l'automne 2006 (réf.
5). À suivre. c- Le ministère de la santé néo-zélandais
a finalement lancé en 2006 une consultation publique sur l'opportunité
de réviser la réglementation sur la publicité, consultation
à la laquelle ont participé de nombreux individus et associations
du monde entier, dont le Collectif Europe et Médicament (réf. 19).
La décision du ministère, qui s'inscrit dans le contexte d'un rapprochement
des agences du médicament néo-zélandaise et australienne,
n'était pas connue à la date du 25 septembre 2006. ________
Références 1- Prescrire Rédaction
"Redresser le cap de la politique du médicament (suite). Publicité
directe au public : la désastreuse expérience américaine"
Rev Prescrire 2002 ; 22 (232) : 703-706. 2- Prescrire Rédaction "Euphémismes
et faux-semblants en Europe" Rev Prescrire 2002 ; 22 (232) : 704. 3- Prescrire
Rédaction "Europe et médicament : les succès obtenus
par les citoyens" Rev Prescrire 2004 ; 24 (252) : 542-548. 4- "Article
63 de la Directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil du 31
mars 2004 modifiant la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif
aux médicaments à usage humain" Journal Officiel de l'Union
européenne du 30 avril 2004 : L 136-51. 5- "Pharmaceutical Forum".
Site internet http://ec.europa.eu/health consulté le 17 septembre 2006
: 5 pages. 6- Hollon MF "Direct-to-Consumer Advertising - A haphazard
approach to health promotion" JAMA 2005 ; 293 (16) : 2030-2033. 7- "Taking
a closer look at drug advertisements" Lancet 2005 ; 366 : 522. 8- Mansfield
PR et coll. "Direct to consumer advertising" BMJ 2005 ; 330 : 5-6. 9-
Lenzer J "Professors speak out against advertising directly to consumers"
BMJ 2005 ; 331 : 1040. 10- Lenzer J "FDA investigates direct to consumer
adverts" BMJ 2005 ; 331 : 1102. 11- "PhRMA Guiding Principles -
Direct to consumer advertisements about prescription medicines". Site internet
http://www.phrma.org consulté le 27 février 2006 : 11 pages. 12-
Macilwain C "Drug firms back-pedal on direct advertising" Nature 2005
; 436 : 910-911. 13- "Companies agree to PhRMA's voluntary DTC guidelines"
Scrip 2005 ; (3078) : 12. 14- PAL "The fox guarding the henhouse award
: for pushing toothless "guiding principles" on drug advertising".
Site internet http://www.bitterpillawards.org consulté le 24 août
2006 : 2 pages. 15- Toop L et coll. "Direct to consumer advertising of
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Dunedin, Wellington and Auckland schools of medicine 2003 : 95 pages. 16- "Programmes
des firmes pharmaceutiques d'"aide à l'observance" : l'imposture"
Rev Prescrire 2006 ; 26 (271) : 300. 17- Article L. 5122-6 du Code de la Santé
publique. 18- Article L. 5122-8 du Code de la Santé publique. 19-
Ministère néo-zélandais de la santé "Direct-to-consumer
advertising of prescription medicines in New Zealand : consultation document".
Site internet http://www.moh.govt.nz consulté le 17 septembre 2006 : 2
pages. |