Le coût de recherche et développement pharmaceutiques
a augmenté au cours des vingt dernières années,
même si nous sommes encore loin du "milliard de dollars"
prédit « pour très bientôt »
par la firme Eli Lilly en 1991 (1,2). Cette inflation est souvent
attribuée à celle des coûts de développement
clinique (2).
Des essais plus longs ?
Les essais cliniques des médicaments visant des maladies chroniques
nécessitent plus de temps que ceux évaluant des médicaments
destinés à des traitements occasionnels (antibiotiques
par exemple), même si les critères d'efficacité
habituellement choisis par les firmes sont des critères intermédiaires
(taux de cholestérol, etc.), et non des faits cliniques tangibles.
Mais les chiffres d'affaires sont sans commune mesure. Le marché
mondial des céphalosporines par exemple, premier chiffre d'affaires
en infectiologie, représente seulement le tiers du chiffre
d'affaires des antiulcéreux en 2002 (21,9 milliards de
dollars) (3).
Des AMM plus longues à obtenir ?
Les firmes pharmaceutiques contestent souvent la lenteur des procédures
d'autorisation de mise sur le marché (AMM) (et d'autres décisions
éventuelles telles que la fixation d'un prix), qui augmente
de fait les coûts d'opportunité des sommes investies
en recherche.
Pourtant, dans l'étude du Tufts Center, la période d'enregistrement
des médicaments a été réduite de 12,1 mois
entre 1991 et 2002 (2). La Conférence internationale d'harmonisation
(ICH), créée à l'initiative des firmes, conduit
rapidement à une harmonisation des exigences des autorités
sanitaires des États-Unis d'Amérique, de l'Europe et
du Japon, ce qui entraîne des économies et des délais
moindres pour les firmes. Des "certificats complémentaires
de protection" qui rajoutent jusqu'à 5 ans d'exclusivité
de protection après l'échéance du brevet des
médicaments, ont été mis en place, ce qui prolonge
la durée des ventes à prix fort (4).
Des AMM plus difficiles à obtenir ?
Les firmes soutiennent souvent que les exigences des autorités
sont de plus en plus difficiles à satisfaire.
Pourtant, les années 1980 et 1990 ont vu se mettre en place
des systèmes d'obtention accélérée ("fast
track") d'AMM, notamment sous la pression des malades du sida.
Et les AMM délivrées sur la base de preuves incomplètes
sont aujourd'hui légion, comme on peut s'en rendre compte en
lisant régulièrement le "Rayon des nouveautés"
de la revue Prescrire, notamment pour les cancers ou les maladies
orphelines. Et lorsque des AMM ont été accordées
sous condition d'essais complémentaires, ces essais sont fournis
seulement dans une minorité des cas (5).
Le nombre de patients à inclure dans les essais cliniques comparatifs
pour obtenir un résultat probant est également souvent
mis en avant par les firmes. En fait, ce nombre est d'autant plus
grand que la différence entre les traitements comparés
est faible. En d'autres termes, les essais comparatifs sont surtout
coûteux pour les "me too" (a) et autres médicaments
peu différents du médicament de référence,
ou peu efficaces. Mais les "me too" ont probablement coûté
moins cher en recherche préclinique, puisqu'ils s'inspirent
largement du médicament original.
Une recherche à bout de souffle ?
Dans les années 1980 et 1990, certains parlaient déjà
d'un épuisement de la recherche pharmaceutique, en précisant
immédiatement qu'il s'agissait d'un épuisement de la
recherche classique par criblage des molécules, et que les
biotechniques promettaient un nouvel Âge d'or (6). Cet
Âge d'or n'a pas réellement existé pour les patients.
Aujourd'hui, on promet une Renaissance grâce à la génomique,
voire la protéomique. Il a ainsi été estimé
que la génomique pourrait faire baisser le coût de recherche
et développement de 300 millions de dollars (7). Ces prédictions
hasardeuses ont surtout pour but de convaincre les investisseurs de
quitter une bulle spéculative pour une autre.
Une recherche dispendieuse
Les firmes pharmaceutiques, enrichies et grisées par les médicaments
"milliardaires" de la décennie 1990, ont aujourd'hui
des coûts de fonctionnement très élevés :
recours croissant à une sous-traitance faisant chèrement
payer des gains de temps ou des baisses de risque de développement ;
inflation des droits de propriété intellectuelle à
payer (royalties, etc.) ; salaires disproportionnés.
La fin d'un modèle ?
Du point de vue de la santé publique, les sommes dépensées
pour mettre sur le marché un énième "me
too" sont absurdement trop élevées. Cela ne dissuadera
cependant pas une firme de les investir, si cela lui permet de prendre
une part d'un marché représentant plus de dix milliards
de dollars annuels (anti-ulcéreux, hypocholestérolémiants,
antidépresseurs, anti-inflammatoires non stéroïdiens) (4).
À l'inverse, ces mêmes sommes sont ridiculement petites
s'il s'agit de trouver un antituberculeux efficace en traitement court
(2 millions de morts par an dans le monde). Pourtant le dernier médicament
spécifiquement antituberculeux a été mis sur
le marché en 1964. Les firmes pharmaceutiques ne cherchant
pas par elles-mêmes dans cette direction, un partenariat public-privé
a été amené à se donner cette mission (8).
La question essentielle est bien là : à quoi sert
de payer la recherche et développement d'un médicament
qui ne présente pas d'avantage thérapeutique ou qui
ne répond pas à un besoin prioritaire de santé
insatisfait ? Il est temps que les pouvoirs publics mettent en
place des mécanismes incitatifs à une recherche et développement
orientée vers la santé publique, et pas seulement par
le marché. Ce n'est qu'à cette condition que la question
du coût de recherche et développement prendra tout son
sens pour les professionnels de santé et les patients.
©La revue Prescrire 1er novembre 2003
Rev Prescr 2003 ; 23 (244) : 786.
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Notes
a- On désigne par le terme anglais "me too" (moi
aussi) des médicaments à structure chimique très
voisine de celle d'un médicament ayant ouvert une nouvelle
classe. Les firmes qui les développent ont pour objectif
de prendre une part du marché, "elles aussi", du
médicament princeps (par exemple, lansoprazole, puis pantoprazole,
puis rabéprazole, dans le sillage de l'oméprazole)
(réf. 9).
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Références
1- Prescrire Rédaction "Le coût de la recherche
pharmaceutique" Rev Prescr 1992 ; 12 (123) : 545-546.
2- DiMasi J et coll. "The price of innovation : new estimates
of drug development costs" Journal Health Economics 2003 ;
22 : 151-185.
3- Sellers LJ "Fourth annual 50" Pharm Exec May 2003 :
42-52.
4- Prescrire Rédaction "Le renforcement tous azimuts
des brevets dans le domaine pharmaceutique" Rev Prescr 1999 ;
19 (197) : 544-546.
5- "FDA releases data on phase IV commitments" Scrip 2003 ;
(2853/54) : 19.
6- Sénard JM "Biotechnologies - chronique d'un succès
annoncé" Rev Prescr 1996 ; 16 (168) : 898.
7- "A revolution in R&D -The impact of genomics" The
Boston consulting group 2001 : 4 pages.
8- The global alliance for TB drug development. Site internet http://www.tballiance.org
consulté le 4 octobre 2003.
9- Prescrire Rédaction "Me too" Rev Prescr 2001 ;
21 (218) : 404.
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