Revue Prescrire, article en une, Coût de la recherche (2) novembre 2003
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Coût de la recherche pharmaceutique
en augmentation : pourquoi et pour quoi faire ?

 
L'inflation des coûts de recherche pharmaceutique est souvent attribuée à celle des coûts de développement clinique.
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Coût de la recherche pharmaceutique en augmentation : pourquoi et pour quoi faire ?
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Le coût de recherche et développement pharmaceutiques a augmenté au cours des vingt dernières années, même si nous sommes encore loin du "milliard de dollars" prédit « pour très bientôt » par la firme Eli Lilly en 1991 (1,2). Cette inflation est souvent attribuée à celle des coûts de développement clinique (2).

Des essais plus longs ?
Les essais cliniques des médicaments visant des maladies chroniques nécessitent plus de temps que ceux évaluant des médicaments destinés à des traitements occasionnels (antibiotiques par exemple), même si les critères d'efficacité habituellement choisis par les firmes sont des critères intermédiaires (taux de cholestérol, etc.), et non des faits cliniques tangibles.
Mais les chiffres d'affaires sont sans commune mesure. Le marché mondial des céphalosporines par exemple, premier chiffre d'affaires en infectiologie, représente seulement le tiers du chiffre d'affaires des antiulcéreux en 2002 (21,9 milliards de dollars) (3).

Des AMM plus longues à obtenir ?
Les firmes pharmaceutiques contestent souvent la lenteur des procédures d'autorisation de mise sur le marché (AMM) (et d'autres décisions éventuelles telles que la fixation d'un prix), qui augmente de fait les coûts d'opportunité des sommes investies en recherche.
Pourtant, dans l'étude du Tufts Center, la période d'enregistrement des médicaments a été réduite de 12,1 mois entre 1991 et 2002 (2). La Conférence internationale d'harmonisation (ICH), créée à l'initiative des firmes, conduit rapidement à une harmonisation des exigences des autorités sanitaires des États-Unis d'Amérique, de l'Europe et du Japon, ce qui entraîne des économies et des délais moindres pour les firmes. Des "certificats complémentaires de protection" qui rajoutent jusqu'à 5 ans d'exclusivité de protection après l'échéance du brevet des médicaments, ont été mis en place, ce qui prolonge la durée des ventes à prix fort (4).

Des AMM plus difficiles à obtenir ?
Les firmes soutiennent souvent que les exigences des autorités sont de plus en plus difficiles à satisfaire.
Pourtant, les années 1980 et 1990 ont vu se mettre en place des systèmes d'obtention accélérée ("fast track") d'AMM, notamment sous la pression des malades du sida. Et les AMM délivrées sur la base de preuves incomplètes sont aujourd'hui légion, comme on peut s'en rendre compte en lisant régulièrement le "Rayon des nouveautés" de la revue Prescrire, notamment pour les cancers ou les maladies orphelines. Et lorsque des AMM ont été accordées sous condition d'essais complémentaires, ces essais sont fournis seulement dans une minorité des cas (5).
Le nombre de patients à inclure dans les essais cliniques comparatifs pour obtenir un résultat probant est également souvent mis en avant par les firmes. En fait, ce nombre est d'autant plus grand que la différence entre les traitements comparés est faible. En d'autres termes, les essais comparatifs sont surtout coûteux pour les "me too" (a) et autres médicaments peu différents du médicament de référence, ou peu efficaces. Mais les "me too" ont probablement coûté moins cher en recherche préclinique, puisqu'ils s'inspirent largement du médicament original.

Une recherche à bout de souffle ?

Dans les années 1980 et 1990, certains parlaient déjà d'un épuisement de la recherche pharmaceutique, en précisant immédiatement qu'il s'agissait d'un épuisement de la recherche classique par criblage des molécules, et que les biotechniques promettaient un nouvel Âge d'or (6). Cet Âge d'or n'a pas réellement existé pour les patients.
Aujourd'hui, on promet une Renaissance grâce à la génomique, voire la protéomique. Il a ainsi été estimé que la génomique pourrait faire baisser le coût de recherche et développement de 300 millions de dollars (7). Ces prédictions hasardeuses ont surtout pour but de convaincre les investisseurs de quitter une bulle spéculative pour une autre.

Une recherche dispendieuse
Les firmes pharmaceutiques, enrichies et grisées par les médicaments "milliardaires" de la décennie 1990, ont aujourd'hui des coûts de fonctionnement très élevés : recours croissant à une sous-traitance faisant chèrement payer des gains de temps ou des baisses de risque de développement ; inflation des droits de propriété intellectuelle à payer (royalties, etc.) ; salaires disproportionnés.

La fin d'un modèle ?
Du point de vue de la santé publique, les sommes dépensées pour mettre sur le marché un énième "me too" sont absurdement trop élevées. Cela ne dissuadera cependant pas une firme de les investir, si cela lui permet de prendre une part d'un marché représentant plus de dix milliards de dollars annuels (anti-ulcéreux, hypocholestérolémiants, antidépresseurs, anti-inflammatoires non stéroïdiens) (4).
À l'inverse, ces mêmes sommes sont ridiculement petites s'il s'agit de trouver un antituberculeux efficace en traitement court (2 millions de morts par an dans le monde). Pourtant le dernier médicament spécifiquement antituberculeux a été mis sur le marché en 1964. Les firmes pharmaceutiques ne cherchant pas par elles-mêmes dans cette direction, un partenariat public-privé a été amené à se donner cette mission (8).
La question essentielle est bien là : à quoi sert de payer la recherche et développement d'un médicament qui ne présente pas d'avantage thérapeutique ou qui ne répond pas à un besoin prioritaire de santé insatisfait ? Il est temps que les pouvoirs publics mettent en place des mécanismes incitatifs à une recherche et développement orientée vers la santé publique, et pas seulement par le marché. Ce n'est qu'à cette condition que la question du coût de recherche et développement prendra tout son sens pour les professionnels de santé et les patients.

©La revue Prescrire 1er novembre 2003
Rev Prescr 2003 ; 23 (244) : 786.
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Notes
a- On désigne par le terme anglais "me too" (moi aussi) des médicaments à structure chimique très voisine de celle d'un médicament ayant ouvert une nouvelle classe. Les firmes qui les développent ont pour objectif de prendre une part du marché, "elles aussi", du médicament princeps (par exemple, lansoprazole, puis pantoprazole, puis rabéprazole, dans le sillage de l'oméprazole) (réf. 9).
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Références
1- Prescrire Rédaction "Le coût de la recherche pharmaceutique" Rev Prescr 1992 ; 12 (123) : 545-546.
2- DiMasi J et coll. "The price of innovation : new estimates of drug development costs" Journal Health Economics 2003 ; 22 : 151-185.
3- Sellers LJ "Fourth annual 50" Pharm Exec May 2003 : 42-52.
4- Prescrire Rédaction "Le renforcement tous azimuts des brevets dans le domaine pharmaceutique" Rev Prescr 1999 ; 19 (197) : 544-546.
5- "FDA releases data on phase IV commitments" Scrip 2003 ; (2853/54) : 19.
6- Sénard JM "Biotechnologies - chronique d'un succès annoncé" Rev Prescr 1996 ; 16 (168) : 898.
7- "A revolution in R&D -The impact of genomics" The Boston consulting group 2001 : 4 pages.
8- The global alliance for TB drug development. Site internet http://www.tballiance.org consulté le 4 octobre 2003.
9- Prescrire Rédaction "Me too" Rev Prescr 2001 ; 21 (218) : 404.