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Prix Prescrire 2018

Prix Prescrire 2018 : 4 ouvrages analysés dans la rubrique "Lu pour vous" ont été primés par la Rédaction

PrixPrescrire  Ouvrages présentant un intérêt pour le public
  et/ou les professionnels de santé
 

Qui a tué les verriers de Givors ? Une enquête de sciences sociales


Qui a tué les verriers de Givors ? En France, la sous-déclaration et la sous-reconnaissance des maladies professionnelles, dont les cancers, sont régulièrement constatées (1à3). Les mécanismes en cause sont rarement décrits dans leur déroulement concret. D'où l'intérêt tout particulier de l'enquête menée par un sociologue et historien qui a accompagné d'anciens travailleurs de la verrerie de Givors et leurs familles dans leur propre enquête, pour identifier les causes des maladies dont ils étaient atteints, puis au long des démarches difficiles pour leur reconnaissance en maladies professionnelles (4).

Des verriers épidémiologistes
L'activité verrière née à Givors (Rhône) en 1749 y perdurera plus de 250 ans, jusqu'en janvier 2003 (4). Après la fermeture de l'entreprise, des ouvriers se regroupent dans l'Association des anciens verriers de Givors, dont un des objectifs est de construire un travail de mémoire. En 2005, l'un des anciens ouvriers, actif au sein de l'association, est atteint d'un cancer du pharynx, suivi en 2009 d'un cancer du plancher de la bouche. Cette année-là, son épouse réalise que d'autres anciens verriers sont aussi victimes de cancers : « les points communs entre ces destins tragiques sautent aux yeux ». Sous son impulsion, l'association envoie alors un questionnaire à 645 anciens de la verrerie, interrogeant chacun sur la durée d'emploi et les postes occupés dans la verrerie, l'état de santé, l'existence d'une maladie professionnelle reconnue.

Sur les 208 questionnaires retournés, une centaine mentionnent un cancer, dont une trentaine de cancers bronchiques (4). Ces cancers sont-ils en excès ? Si oui, ont-ils leur origine dans les conditions de travail à la verrerie ? Quels sont les produits à incriminer, sachant que le travail du verre expose à une multitude de produits chimiques ? Répondre à ces questions est une tâche ardue pour les verriers. Comment des conditions de travail perçues comme modernisées et assainies seraient-elle responsables d'un excès de cancers (a) ? Comment un travail qui les a nourris, dont ils ont été fiers, pour le maintien duquel ils se sont battus, les aurait rendus malades ?

Défaillances du système de protection des travailleurs
En 2013, l'auteur de l'ouvrage, spécialiste des questions de santé au travail, est contacté par les verriers (4). Il découvre le travail déjà accompli et leur propose de mener une enquête historique sur les conditions de travail à la verrerie, tout en suivant leurs démarches administratives et judiciaires. Il va aussi s'appuyer sur le travail développé par le Groupement d'intérêt scientifique sur les cancers d'origine professionnelle en Seine Saint-Denis (Giscop93). Cette enquête, relatée dans l'ouvrage à la manière d'une investigation policière, plonge ses racines dans le passé des verriers et les accompagne dans leur recherche de vérité. Elle se place délibérément du côté du récit des travailleurs, tout en étant solidement documentée.

Au fil du récit, apparaissent les nombreuses défaillances d'un système prévu pour protéger les travailleurs et les indemniser en cas de maladies professionnelles, mais qui dans les faits semble les ignorer. Surtout si ces maladies n'entrent pas dans les tableaux réglementaires de maladies professionnelles (3). Le cas des verriers de Givors est un cas d'école : déficience dans la prévention des risques cancérogènes ; absence d'attestation délivrée par l'employeur en cas d'exposition à des produits cancérogènes autres que l'amiante ; insuffisances des dossiers médicaux du travail ; réticence de certains médecins traitants à établir les certificats médicaux initiaux pour les demandes de reconnaissance en maladie professionnelle ; accueil sceptique, voire d'emblée hostile, de spécialistes amenés à se prononcer ; et in fine refus répétés des juridictions sollicitées de lier les cancers au travail (4).

Les verriers n'ont d'autre choix que se tourner vers la justice pour obtenir la reconnaissance de l'origine professionnelle des cancers. Mais le temps de la justice est long. L'action entreprise en 2009 par un verrier, et poursuivie après sa mort par sa famille, s'est conclue en 2017 seulement par la reconnaissance définitive du lien entre son travail et ses cancers (5). En 2018, d'autres actions sont toujours en cours.

Perdre sa vie à la gagner n'est pas une fatalité
Le récit du combat exemplaire des verriers de Givors va bien au-delà du cas particulier. Il illustre l'arbitrage fréquent entre emploi et santé et questionne l'indépendance médicale face aux entreprises, deux thèmes auxquels le sociologue s'est intéressé (6). Selon lui, la question du droit à « un bon travail – intéressant, sain, digne de fierté » devrait être centrale dans le débat politique, et « perdre sa vie à la gagner » n'est pas une fatalité (4). Dans ce débat, le rôle des citoyens et des soignants est crucial.  

©Prescrire 4 octobre 2018

"Prix Prescrire 2018" Rev Prescrire 2018 ; 37 (420) : IV de couverture. (pdf, accès libre)

"Lu pour vous. Qui a tué les verriers de Givors ? Une enquête de sciences sociales" Rev Prescrire 2018 ; 38 (416) : 465. (pdf, réservé aux abonnés)

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Note :
a- La lecture d'articles écrits par les frères Bonneff, journalistes au début du 20e siècle, permet de se rendre compte de la dureté des conditions de travail et de vie des ouvriers à l'époque, notamment dans la verrerie (réf. 7). Avec la mécanisation progressive, les risques sont devenus moins visibles (réf. 4).

Extraits de la veille documentaire Prescrire.
1- Prescrire Rédaction "Cancers professionnels : une reconnaissance difficile en France" Rev Prescrire 2017 ; 37 (407) : 698-702.
2- Prescrire Rédaction "L'occultation des maladies professionnelles : le cas exemplaire de la silicose" Rev Prescrire 2008 ; 28 (300) : 783-785.
3- Prescrire Rédaction "Accidents du travail et maladies professionnelles : le coût de la sous-déclaration" Rev Prescrire 2007 ; 27 (285) : 546-547.
4- Marichalar P "Qui a tué les verriers de Givors ? Une enquête de sciences sociales" Éditions La Découverte, Paris 2017 : 251 pages, 22 euros. Disponible auprès de l'Appel du Livre.
5- Bette P "La justice établit la maladie professionnelle d'un verrier de Givors mort d'un cancer" France 3 régions, 17 mars 2017.
6- Marichalar P "C'est gênant de se mettre à dos son médecin parce qu'on en a besoin. Ouvriers malades de leur travail face à la médecine" Agone 2016 ; 1 (58) : 105-122.
7- Union syndicale Solidaires "Les frères Bonneff. Documents d'archives". Site www.bonneff.com consulté le 8 mars 2018.

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